Baromètre Maison&Objet #4. 88% des répondants l’affirment : les clients sont de plus en plus regardants sur l’origine des produits et des matières premières utilisées. Cette demande massivement exprimée peut-elle être satisfaite ? L’étude met en lumière les ambitions et les freins dans notre secteur. Et dément aussi quelques idées préconçues.
À l’occasion de son baromètre, Maison&Objet interroge trois fois par an, les acteurs du secteur sur des indicateurs du marché ou des points d'actualité. Ces données sont basées sur les résultats d’un questionnaire en ligne administré du 30 Mai au 10 Juin 2022 auprès de 730 Marques, Distributeurs ou Prescripteurs.
Pour 60% de l’ensemble des répondants, cette demande des clients s’exprime de manière plus importante qu'avant la crise du transport et de l'inflation. En première ligne face au consommateur, ce sont essentiellement les acheteurs, soit les distributeurs et les prescripteurs, qui se font l’écho de cette tendance - 62% d’entre eux contre 53% pour les marques.
Contrairement à une idée souvent répandue, cette nouvelle édition du baromètre met en évidence des pratiques et des productions déjà largement ancrées localement. 80% des marques sondées déclarent déjà s’approvisionner en matières premières sur leur continent, 27% complétant leur sourcing avec des matériaux issus d'autres régions du monde. Elles sont 83% à fabriquer tout ou partie de leurs collections et gammes de produits à une échelle continentale.
Celles qui le font sont souvent investies depuis longtemps dans cette démarche, par tradition ou par nécessité, sans pour autant le revendiquer. “Depuis presque 30 ans, nous avons toujours continué à produire et faire produire localement“, fait-on remarquer chez Egmont Toys. “50% de notre production est faite en Europe“, précise la marque belge alors que les Français de Filt se réclament d’une production hexagonale de filets à provision depuis 1860 !
Côté acheteurs, 90% d’entre eux affirment se fournir en produits finis sur leur continent, 1 sur 2 constituant également des stocks hors de ce périmètre.
Au global, ce sont 52% des professionnels interrogés qui affirment avoir déjà une part de leur production ou de leur sourcing localisée.
Un tiers des distributeurs et prescripteurs se déclarent prêts à enclencher un processus de relocalisation. 71% d’entre eux envisagent même la concrétisation de cette évolution dans un délai maximum de 1 ou 2 ans. Les facteurs de décision sont multiples, à l’instar de ceux évoqués par QE Home, concept store canadien, qui met en avant des critères éthiques dans l’attention portée aux processus de production et qui note encore que “La politique zero-Covid de la Chine perturbe également les délais de livraison des produits”. “Il est important de relocaliser, miser sur la qualité et pas le prix. Si l'argumentaire de vente est bon et cohérent, la vente se fait car les clients (…) ne sont plus dupes », avance de son côté le responsable d’une boutique installée en France.
Pour près de la moitié des acheteurs et marques ayant commencé ou prévoyant de rapatrier ou de relocaliser leur production ou leurs approvisionnements, l’objectif est de se recentrer sur son pays, voire même pour 23% d’opérer à un niveau plus régional. Enfin, 29% envisagent ce rééquilibrage à l’échelle de leur continent. En Europe, trois pays bénéficient dans cette optique d’un intérêt particulier de la part des marques : le Portugal, l’Italie et l’Espagne.
Ces stratégies de relocalisation sont loin d’être dictées seulement par les vœux exprimés par les consommateurs. Pérennité de l’activité, fluidité et sécurisation des approvisionnements apparaissent comme des enjeux majeurs intensifiés par l’actualité internationale. “C'est davantage une diversification que nous menons en France. Nous ne prévoyons pas d'abandonner nos projets en Afrique, explique la société française As‘art. Cependant, en Afrique, nous recentrons nos développements sur les produits et ateliers les moins sensibles aux dérèglements de toutes sortes (politiques, climatiques, logistiques, etc.) “ Pour la marque belge Chehoma, “beaucoup d'acteurs voulaient relocaliser en Europe de l’Est, mais la crise en Ukraine a montré que ce n'était pas non plus l’unique solution. Un sourcing multi-pôles reste la solution la plus viable selon nous“.
Reste que 22% des professionnels questionnés ne prévoient pas actuellement de relocaliser leurs approvisionnements que ce soit en matières premières ou en produits finis. Certains d’entre eux se réclament d’une activité basée sur des produits et des savoir-faire disponibles exclusivement dans des pays particuliers. “Nous avons tissé des liens commerciaux avec l’Inde. Il n’y a pas d’usines en Europe qui puissent fabriquer ce dont nous avons besoin aux mêmes niveaux de prix ou de qualité“, avance une marque anglaise qui n’est pas la seule à attester d’un travail de longue haleine et de partenariats fructueux qui sont parfois l’ADN même de l‘entreprise. “Nous avons principalement une offre ethnique et de curiosités qui ne se trouvent qu'en Asie et Amérique du Sud. Nous préférons privilégier cette originalité », expose de son côté la boutique française Brin De Causette qui précise néanmoins avoir commencer à travailler depuis 2 ans avec des artisans locaux.
Les réticences des acteurs du secteur relèvent pour beaucoup de contraintes économiques fortes. « Le coût, puisque nos produits nécessitent une main d’œuvre intensive et les prix de l’énergie sont élevés en Europe pour la fabrication de produits métalliques », sont les principaux obstacles évoqués par une marque allemande. Un constat assez largement partagé puisque 70% des marques mettent en cause des coûts de fabrication plus élevés et pour 52% des coûts d'achats plus importants.
À ces freins s’ajoute, pour 41% des marques, la complexité de trouver de nouveaux fournisseurs. “Beaucoup d'ateliers [...] ont disparu. Pour certains produits, il est devenu très difficile, voire impossible de produire localement, premièrement car les matières premières ne sont plus disponibles (…) et parce que nous n'avons plus les outils et les compétences“, développe la marque Egmont Toys. “Certains savoir-faire ont disparu de notre pays“, renchérit Email Replica. “Même pour des fournitures basiques, il faut souvent aller les chercher à l’étranger“, se désole la marque française alors qu’une chaîne de magasins appelle à réindustrialiser en Europe et déclare avoir des difficultés à sourcer sur le vieux continent textiles, produits pour les arts de la table et mobilier. Composants électriques, cuivre… Alors que 44% des marques soulignent le manque voire l'inexistence de matières premières et de matériaux dans certaines zones et l’obligation de se fournir dans des pays éloignés, à l’autre bout de la chaîne, en Europe certains redoutent dans leur commentaires les retards dans les livraisons impliqués par le manque de capacité des chaînes de production locales.
À la difficulté de trouver de nouveaux fournisseurs, plus prégnante encore pour les acheteurs (56%), se superpose la crainte pour 44% de ces derniers de devoir travailler avec un portefeuille plus restreint. “Cela demande beaucoup plus d’efforts de s’approvisionner localement, car les gammes sont plus restreintes, donc je dois passer des commandes auprès de plus de monde“, énonce un distributeur irlandais. Des prescripteurs israélien et anglais font valoir leur difficulté à s’approvisionner ou à trouver une offre assez diversifiée sur leur territoire alors qu’un sourcing international permet également de se différencier en proposant une offre plus originale.
La relocalisation apparaît pour beaucoup comme la possibilité de répercussions concrètes et positives sur le fonctionnement des entreprises. Ils sont 4 sur 10 par exemple à espérer bénéficier d’un raccourcissement des délais de transport.
C’est surtout en termes d’image renvoyée au client, de traçabilité, d’amélioration de la qualité et donc de crédibilité que s’expriment les conséquences souhaitées de la relocalisation. Il s’agit pour 71% des marques de la diminution de leur impact environnemental et pour 58% d’un retour à des valeurs sociales. Pour 53%, la relocalisation pourrait avoir un effet bénéfique sur leur image de marque. Côté acheteurs, 48% espèrent une hausse de la qualité et 39% escomptent un meilleur savoir-faire produit.
Autant d’améliorations à même de satisfaire ce nouveau client certes exigeant mais pas toujours prêt, comme le soulignent certains, à payer plus cher pour des produits pourtant plus conformes à ses attentes. “Le point le plus difficile, c'est que le consommateur aimerait un produit local, des conditions de travail sociales, écologiques mais pour le même prix que le produit “chinois“ », constate-t-on chez Egmont Toys. « Nous travaillons et vivons dans une nouvelle ère des extrêmes, résume de son côté Hans van den Hout, CEO de l’entreprise néerlandaise RetailLAB. « Les prix augmentent sans cesse et les demandes des consommateurs sont parfois complètement fous (des livraisons sous 24 heures). Mais nous pensons et avons le sentiment que le design haut de gamme et les produits de haute qualité survivront aussi longtemps que l’histoire « derrière » le produit ou l’entreprise est clairement comprise et attendue par le consommateur final ». Pour se comporter en accord avec ses convictions, le consommateur doit être prêt lui aussi à faire un effort.
Dans une discussion animée par le journaliste britannique Roddy Clarke, trois experts du secteur analysent l’environnement économique actuel, les défis que posent le passage au sourcing local et les perspectives d’avenir pour le secteur.
Maison&Objet Academy vous aide à comprendre le marché, les tendances et comment faire les bons choix pour votre activité.
Face à l’inflation des matières premières et de l’énergie, à chacun sa stratégie. Marques, retailers et prescripteurs ont appris à jongler avec les chiffres mais la plupart sont obligés de répercuter la hausse des prix, du moins en partie.