Recyclé, upcyclé, seconde main : sommes-nous prêts pour une nouvelle vie ?

À l’occasion de son baromètre, Maison&Objet interroge deux fois par an les acteurs de la décoration, du design et de l’art de vivre, sur la santé du marché ainsi que sur une thématique d’actualité. 1207 marques, distributeurs, prescripteurs et hôteliers-restaurateurs ont répondu en avril 2023 à un questionnaire en ligne. Alors qu’au dernier trimestre 2022, 34% des professionnels qui avaient participé à cette étude récurrente envisageaient des perspectives négatives en termes de chiffres d’affaires, ils ne sont plus que 13% au premier trimestre 2023 et 38% se prononcent même pour des perspectives positives d’avril à juillet 2023. 
Ce regain d’optimisme est la première information notable de cette 6e édition du baromètre qui une nouvelle fois livre un éclairage édifiant sur un sujet d’actualité : l’extension du marché des produits de seconde vie et leur intégration par nos métiers.

SOMMES-NOUS PRÊTS POUR UNE NOUVELLE VIE ? 

En 2025, le marché mondial du meuble d’occasion pourrait atteindre 47,5 milliards de dollars*.
Des distributeurs, comme les Français RBC ou le pure player Made in design, ont lancé leur propres plateformes d’outlet pour revendre mobilier d’exposition, retours de livraisons et invendus.
Dans les boutiques de décoration, il n’est plus rare de voir objets neufs et chinés se côtoyer. 
Quant à la maison Ligne Roset, elle récupère et restaure désormais des exemplaires de seconde main de son inoxydable canapé Togo qu’elle remet ensuite en vente.

Ces exemples semblent exprimer un développement inéluctable de la « seconde vie ».
Le recycling tout comme l’upcycling, qui consiste à réutiliser des parties d’un objet, à le détourner parfois de son usage d'origine ou à le remettre au goût du jour, sont devenus des termes courants de l’univers de la maison. Les acteurs du secteur sont-ils pour autant tous armés pour ces nouvelles pratiques ou même simplement désireux de les adopter ? C’est l’objet de ce nouveau baromètre Maison&Objet. 

UNE DEMANDE CROISSANTE

Distributeurs, prescripteurs ou marques, la demande est là. 80% des professionnels interrogés observent un attrait croissant de leurs clients pour les produits recyclés, 72% relèvent un intérêt pour les produits upcyclés et 63% pour les objets de seconde main. « En matière de pure décoration, les clients cherchent la singularité sans pour autant se ruiner, d'où la bonne combinaison de la seconde main upcyclée », analyse un architecte d’intérieur. « Il y a un réel marché dans ces produits "rassurants" et remis au goût du jour », constate pour sa part le dirigeant d’une boutique de décoration du sud de la France. Pour un créateur et fabriquant irlandais, de nouvelles opportunités se profilent : « les entreprises clientes considèrent la réutilisation comme un avantage dans le cadre de leur politique de responsabilité sociale. (…) Il s'agit d'une tendance positive en plein essor ». 

UNE OFFRE BIEN IMPLANTÉE

Les prescripteurs (architectes d’intérieur, décorateurs...) apparaissent comme les plus impliqués et concernés par ces produits de seconde-vie. 95% d’entre eux intègrent dans leurs projets des produits à base de matériaux recyclés, 89% des produits upcyclés et 83% des objets et du mobilier d’occasion. Côté distributeurs, le développement de cette offre est bel et bien en marche. Ils sont 89% à affirmer proposer à la vente des produits en matériaux recyclés (dont 43% toujours ou régulièrement), 68% des produits upcyclés (dont 30% systématiquement ou régulièrement). Enfin, 68% des marques déclarent commercialiser des produits fabriqués à partir de matériaux recyclés, et une sur deux (47%) des produits upcyclés. Reste à savoir si la production comme la distribution pourront encore sensiblement se développer alors que les acteurs pointent bon nombre de freins.

DES FREINS BIEN IDENTIFIÉS 

Pour les produits upcyclés, 52% des marques expriment une difficulté de production et/ou d’approvisionnement évoquant principalement une demande pas assez développée, la difficulté d’avoir un réseau ou des contacts spécialisés et un sourcing restreint. La disponibilité plus limitée des matières premières et des techniques de production plus complexes sont citées comme les premiers obstacles au développement d’une offre de produits recyclés. 
Une difficulté que soulève Phydiastone, jeune maison fabriquant des objets décoratifs, du mobilier et du carrelage à partir de matières réutilisées.
« Je pense surtout à l'énorme travail logistique que cela demande. De nouveaux métiers devraient être créés pour que cela devienne beaucoup plus simple : savoir quelle matière est stockée, où et dans quelle quantité pour pouvoir l'optimiser au maximum et imaginer une nouvelle vie adaptée », fait remarquer un designer produit. 

Et quand les produits existent, il n’est pas aisé de les identifier souligne un autre professionnel : « J'attends une plus grande transparence et lisibilité de la part des fournisseurs de matériaux et mobilier sur l'origine de leurs matières premières et leur démarche écologique. Il s'agit pour moi d'un aspect fondamental qu'il n'est pas toujours facile de privilégier car les recherches approfondies sur le sujet sont très chronophages ». En la matière, des solutions s’esquissent : « À l'UFDI**, dont je fais partie, un groupe de travail est en train de construire un fichier des fournisseurs "green" et de répertorier les bonnes pratiques », fait savoir le fondateur d’une agence de design et de décoration d’intérieur à Rennes (France).

UNE ÉQUATION OFFRE/DEMANDE ENCORE À RÉSOUDRE

Le prix reste une barrière forte à la mise en application des résolutions éco-responsables des consommateurs. « Si seulement mes clients préféraient la durabilité au prix, je ne travaillerais qu'avec la durabilité », déplore une architecte d’intérieur suédoise. « (…) un défi majeur pour nous est d'éduquer les clients à accepter des prix de détail légèrement plus élevés lorsqu'il s'agit de produits recyclés ou respectueux de l'environnement », commente un distributeur du Moyen-Orient.  
Les consommateurs ne sont pas les seuls à se heurter au coût de la démarche. « La seconde main et le réemploi sont des domaines qui nous intéressent beaucoup, mais (…) cela revient au même prix, voir plus cher que des équivalents neufs car cela demande plusieurs revendeurs et donc plusieurs marges avant d'arriver au client. Sans parler du temps de chinage et de la logistique », fait valoir un prescripteur.
« J'ai créé mon entreprise autour du local et de l'upcycling. Ils sont un véritable atout aujourd'hui. Cependant l'équation financière n'est pas encore simple », constate une jeune marque.

LE CAS PARTICULIER DE LA SECONDE MAIN 

Pour les marques, la seconde main reste l’affaire d’une petite partie (25% parmi les interrogées).
32% y voient un marché de niche et, bien que pour 70% d’entre elles il soit facile de sourcer les produits, 26% évoquent les contraintes logistiques de leur rapatriement. 
Si l’occasion s’avère un terrain de jeu propice pour les prescripteurs, elle l’est beaucoup moins pour les distributeurs. Alors que la plupart des architectes et décorateurs d’intérieur intègre des produits de seconde main dans leurs chantiers, moins d’un détaillant sur deux (48%) en propose à la vente dont 26% de manière occasionnelle. 

Pour ces acheteurs professionnels, les principales sources d’approvisionnement sont, pour 64%, les brocanteurs, antiquaires et les marchés aux puces et pour 60% les plateformes en ligne. Mais si 60% d’entre eux considèrent que l’offre de seconde main est facilement accessible, 45% jugent le travail de recherche long et fastidieux et 36% regrettent des quantités ou des volumes limités, tout particulièrement pour certains produits comme les revêtements muraux ou de sols, les textiles ou encore l’outdoor. 

SECONDE MAIN : UN ENJEU CONCURRENTIEL 

L’enjeu de cette offre d’occasion est alors pour 81% de ces acheteurs de se démarquer de leurs concurrents. Cette différenciation passe par la recherche de pièces uniques ou iconiques pour 59% d’entre eux, et tout particulièrement pour les prescripteurs (64%). Le « supplément d’âme » que la seconde main confère au produit est le deuxième facteur cité. Mais le premier intérêt mis en avant par les prescripteurs comme par les distributeurs est l’intégration des produits de seconde main dans une démarche plus éco-responsable. 
Malgré les obstacles auxquels ils se heurtent, les professionnels de notre secteur ont de plus en plus conscience que ces produits atypiques doivent être intégrer dans leur pratique : 64% des distributeurs et 90% des prescripteurs jugent qu’à l’avenir, il sera primordial de proposer dans les projets ou à la vente des produits de seconde main. Ils n’étaient respectivement que 41% et 76% en 2021. 

*Source Global Off-the-Shelf Second Hand Furniture Market Outlook.  
** Union Francophone des Décorateurs et Architectes d'Intérieur www.ufdi.fr 200 décorateurs et architectes d'intérieur en France et en Belgique.