Le jaune “Illuminating“. Pantone a révélé son choix pour 2021. L’histoire que les marques racontent avec la couleur est toutefois beaucoup plus nuancée.
Pour être précis, il n’y pas cette année une mais deux couleurs présentées comme les couleurs de l’année 2021. Ce jaune, référencé 13-0647, est contrebalancé par le gris 17-5104 ou “Ultimate Gray“. La combinaison symbolise l'union de la force et de l'optimisme selon le Pantone Color Institute. « Cette association de couleur nous apporte résilience et espoir. Nous avons besoin de nous sentir encouragés et inspirés, cela est essentiel à l'esprit humain », expliquent ses experts. Ils analysent les tendances à travers le monde, recherchent les nouvelles influences chromatiques dans tous les domaines – mode, art, cinéma – et observent aussi les nouveaux modes de vie, les technologies et les conditions socio-économiques. Après une année 2020 compliquée, parfois douloureuse, le gris nous parle de solidité. Et le jaune, solaire, redevient une couleur positive et désirable.
Redevient. Car comme le souligne l’historien des couleurs Michel Pastoureau dans une somme* consacrée à la référence Pantone 13-0647 et à ses déclinaisons, le jaune, considéré comme bienfaisant et bénéfique sous l’antiquité, n’a cessé de se dévaloriser au cours des âges. Trop voyant, il est classé dans les couleurs “déshonnêtes“ par les grands réformateurs protestants en Europe. Et s’il est revenu en odeur de sainteté au XXe siècle, il est toujours bon dernier dans le top des couleurs préférées sur le vieux continent. Il y a toujours une histoire derrière les couleurs et une autre à inventer.
Pour Elizabeth Leriche, le jaune est bien une tendance, mais il raconte tout autre chose : l’engouement actuel pour des pays méditerranéens, Minorque et les îles Baléares, la paille, les champs, des rayons de soleil qui ondulent, un environnement solaire… « Aujourd’hui, on est libre, il n’y a plus autant de diktats. Les marques pour qui on travaille sont demandeuses d’audace », souligne celle qui les accompagne sur ce sujet avec son bureau de style. Son approche est bien différente de celle qui permet de proclamer une “couleur de l’année“. Et pour commencer, parce qu’il n’y a jamais une seule couleur. « Les collections sont travaillées dans une histoire et dans un style dont les couleurs découlent et sur lequel elles viennent se greffer.» Un exercice d’équilibriste qui nécessite tout à la fois de « créer et synthétiser l’air du temps… et d’imaginer souvent deux ans avant sa sortie, les couleurs qui feront le succès d’une collection.»
« Notre palette est unique par ses demi-teintes, ses tons poudrés, sourds, qui revendiquent notre belgitude », explique Martine Groetaers, designing sourcing colorist de la maison Flamant. Elle construit depuis plus de 20 ans le nuancier de la marque. 128 couleurs depuis l’origine. Chaque année, elle retranche 4 à 6 références qu’elle remplace par de nouvelles. Ces teintes sont le résultat d’une alchimie délicate faite de deux ingrédients majeurs. Il y a d’abord l’identité de la marque, cette belgitude qu’elle résume joliment : « Des ciels tourmentés, les pavés après la pluie, les façades des maisons, la mer du nord… En fait c’est une chimie de l’atmosphère qui neutralise les couleurs trop vives.» Puis il y a la tendance qu’elle suit de près : « J’achète beaucoup de revue de décoration, je vois beaucoup d’expositions, je regarde la mode… Tout ça m’inspire.» Les nouvelles couleurs, élaborées à partir de teintes très vives qu’elle atténue savamment, infuseront toutes les gammes de la marque et ses nombreuses propositions : peinture mais aussi tissus, papiers peints, objets … En janvier, cinq nouvelles nuances sont proposées : Terra de Sienna, Alizée, Atlas, Dakar et Dolce. « Cette année, c’est une histoire de terre, autour de la terra cotta, de teintes sourdes et organiques », commente-t-elle. Une histoire qui s’inscrit dans l’univers si identifiable - et souvent copié - de Flamant. « Chaque fois que j’ai essayé de sortir des teintes plus fortes, ça ne marchait pas ! », s’amuse-t-elle.
L’histoire de la Maison Dada est moins longue que celle de l’institution belge, mais la couleur y joue aussi un rôle prépondérant. « Dès la première collection de Maison Dada, lancée en 2016, la couleur a joué un rôle essentiel dans son Identité », affirme Thomas Dariel, qui confesse évoluer dans un univers chromatique «méditerranéen», bien loin de la discrétion revendiquée par l’enseigne belge. « Les couleurs que je choisis doivent marquer les esprits et séduire les âmes dans un dialogue silencieux. Ma palette est mon outil à part entière.» Elle raconte une histoire indissociable de celle du designer et co-fondateur de la marque : « Je pense avoir hérité de l’éventail chromatique des maîtres italiens de Memphis, autant que de celui des arts des dynasties Tang et Ming ayant vécu plus de dix ans à Shanghai après une période passée à Rome. J’ai parcouru la Chine dans ses plus lointaines contrées, et j’y ai découvert des trésors avec des formes et des couleurs que je n’avais jamais expérimentées jusque-là ». Dans son processus créatif, la forme devance néanmoins la couleur. Sur le dessin en noir et blanc, elle n’arrive qu’ensuite : « Elle apparaît dans toute sa puissance et me permet de rendre tangible ma création.»
La couleur ne permet d’affirmer sa différence qu’à condition de rencontrer un propos fort et construit, comme celui de marque italienne Ex.t. créée en 1945 par Giulio Tanini et dirigée depuis 2010 par ses petites-filles, Ingrid et Azzurra. Leur parti pris audacieux - "traiter" la salle de bain comme le reste de la maison. - a été porté par un travail sur la couleur détonant dans un secteur où le blanc et un style très minimaliste dominent encore. Pour Frieze, la dernière collection, le duo de designers formé par Andrea Marcante et Adelaide Testa s’est inspiré de Entablatures, une série d'œuvres de Roy Lichtenstein. Ils ont ensuite travaillé avec la marque, fait des ajustements, et sont arrivés à une palette de couleurs qui lui correspondait. Ex.t construit ainsi avec succès une nouvelle histoire qui doit rencontrer celle tout aussi particulière et personnelle des acheteurs, experts de la couleur ou pas. « Je peux passer une journée sur un rouge trop cuit ou trop framboise pour un client. C’est primordial pour trouver la couleur juste », raconte Elizabeth Leriche, « mais chez moi, je reviens toujours à des verts et des céladons, des turquoises et des verts tilleuls ». Nos préférences si personnelles méritent peut-être d’être analysées sur le divan … mais de quelle couleur ?
Par Marie Montuir
Légendes photos : Collection Frieze - Ex.t ©Ex.t / Collection Balloon - Magic Circus Editions ©Pierrick Verny
* Jaune, Histoire d'une couleur
De Michel Pastoureau. 2019
Editions du Seuil.