Noma éditions, les pionniers

Une légende amérindienne raconte que lors d’un incendie de forêt, un petit colibri apportait quelques gouttes d’eau dans son bec pour tenter de l’éteindre. Les autres animaux étaient tous impuissants face au brasier. L’un d’eux dit au Colibri : ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! Celui-ci répondit : Je le sais, mais je fais ma part. C’est à peu près avec la même intention que se sont engagés Guillaume Galloy et Bruce Ribay, lorsqu’ils ont lancé NOMA éditions en juin 2019.  La planète brûle, et à titre individuel, personne ne sait quoi faire. Mais si chacun s’y mettait… NOMA signifie nobles matières. Une matière noble, pour NOMA c’est une matière recyclée, laissant un minimum d’empreinte sur l’environnement. Cet éditeur de design français propose des créations éco-conçues de A à Z. Avec une philosophie : faire beau est le plus puissant vecteur de changement. Les deux associés ont fait appel à de belles signatures du design : Sam Baron, Charlotte Juillard, A+A Corren, l’agence RDAI (Réna Dumas), Martino Gamper et Jean-Marc Gady Studio. Guillaume Galloy et Bruce Ribay maîtrisent les codes du luxe à la française : ils ont travaillé plusieurs années chez Louis Vuitton, où Guillaume, l’ingénieur, a piloté les concepts retail et Bruce, l’architecte, développait les projets d’architecture intérieure. Par la suite, Bruce est devenu le responsable monde de l’architecture et du développement durable chez Céline, autre pépite du groupe LVMH. Autour d’un verre, tous les deux rêvaient de lancer leur marque de design. Ils s’aperçoivent par la suite qu’il n’existe rien dans le créneau du design haut-de-gamme responsable. 

« Chez nous, le recyclage ne se voit pas, on ne se doute de rien »

« Au moment d’y réfléchir, on s’est dit que l’on ne pouvait plus produire une chaise comme avant », raconte aujourd’hui Bruce Ribay. « Nous avons pris le problème dans sa globalité en faisant systématiquement une analyse de cycle de vie (ACV) de nos produits, incluant le sourcing matières, toutes les étapes de fabrications, l’usage ainsi que le transport et l’emballage.» En amont, l’équipe recense les filières de matières recyclées disponibles, produites en basse consommation et les plus proches géographiquement. En aval, ils fabriquent des meubles démontables afin que chaque composant puisse être de nouveau recyclé, réparé, transmis. Chaque création est faite pour durer. Certaines filières, comme celle de l’acier, sont bien organisées. D’autres, comme le plastique, sont encore jeunes mais ont un potentiel esthétique très prometteur. Dans leur « matériauthèque » de 150 références à la pointe de la recherche, on trouve des échantillons de Scalite, une matière à l’aspect du marbre, 100% fabriquée avec des écailles de saumon. Le plateau de la table Ghan de Charlotte Juillard est en plastique de yaourt recyclé et son pied en bois est une chute d’une scierie, teintée au brou de noix. Bruce Ribay montre une plaque très douce, issue d’emballages de cosmétiques, une autre combine le liège et le plastique, tandis qu’une poudre de verre mélangée à de la céramique offre un aspect terrazzo intéressant. Dans les coussins de chaque fauteuil, ils ont inséré une couche de mousse recyclée et agglomérée.  Sur le site de la marque, le pourcentage de matières recyclées apparaît avant même la signature du designer. Pour Ghan, de Charlotte Juillard, il est de 92,8 %. Pour les bougeoirs bruts Pedra, de Sam Baron, retaillés dans les chutes d’une carrière de pierre portugaise et constellés de cristaux, il atteint 99,6 %. Chaque designer s’est vu offrir une formation en éco-conception. NOMA s’engage à une totale transparence sur l’impact et la provenance de ses créations, fabriquées artisanalement et en petites séries. RDAI a dessiné une console, dont les pieds, en résidus de pierre de travertin, sont courbés comme des arches grâce à une technologie qui permet de mettre la pierre à la forme. 

Avec son entretoise en laiton et ses lignes douces, l’élégante table d’appoint Ghan a plus l’air de sortir d’un palace que d’une poubelle. « Chez nous, le recyclage ne se voit pas, on ne se doute de rien », commente Bruce Ribay. Leurs premiers clients sont des architectes, et quelques esthètes responsables. Leur engagement pour l’économie circulaire, le design et le confort de la collection séduit.  Ils ont équipé le siège parisien des Jeux Olympiques de Paris 2024, Hermès et Givenchy leur ont fait confiance. La collection sera enfin présentée pour la première fois à Maison&Objet Paris en septembre prochain. Le duo a également répondu à l’appel à projets outdoor de Paris Design Week, et présentera dans la cour de l’Hôtel de Lamoignon, dans le Marais, une pièce spectaculaire. Une table de dix mètres de long, dans un alliage de papier recyclé et de résine, conçue par Ateliers 2/3/4, qui partagent leur philosophie. Sur la tranche brute du plateau, on devine l’empilement des feuilles de papier, un design pertinent pour ce lieu abritant la Bibliothèque historique de la ville de Paris. Totalement raccord aussi avec le thème de la manifestation : le développement désirable.

Par Caroline Tossan
Illustration © Sarah Bouillaud

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