Dans les montagnes du Liban, à 25km à l’est de Beyrouth, le village de Beit-Chabab cultive jalousement la tradition séculaire de ses artisans. C’est ici qu’est né Houssam Kanaan, le fondateur de Kann design.
Son père, Kanaan Kanaan est ébéniste. Houssam a grandi dans un terrain de jeu parsemé de sciure et d’outils, à 50 mètres de l’atelier, fondé en 1958. Alentours, les amis sont tapissiers, potiers, marbriers, artisans canneur. A Beit-Chabab subsiste aussi la dernière famille fondeur de cloches en Orient. On aurait pu croire le destin d’Houssam tout tracé mais c’était sans compter sur son père, qui ne voulait pas imposer un métier jugé ingrat à ses enfants. Houssam s’exécute, et réussit brillamment l’examen de l’ESCP, l’une des meilleures écoles de commerce françaises. Mais il ne peut se résoudre à laisser derrière lui collines du Liban. Son mémoire de fin d’études est un projet de maison d’édition, qui vendrait en direct ses meubles, via internet ou des boutiques en propre. Kann Design est né.
« Je voulais mettre en valeur ce trésor qu’est le travail de la main, pratiquement du sur-mesure »
À 26 ans, Houssam se lance, fort d’un atelier, d’un prêt étudiant et de l’amour de sa future épouse, Meghedi Simonian, graphiste et designer. Avec José Pascal, un ami d’enfance, ils conçoivent les premiers meubles. L’ADN de Kann Design se dessine en même temps que des enfilades en palissandre 50’s, très imprégnées du style paternel. Une première boutique est ouverte dans le quartier des Batignolles à Paris. « Vendre en direct n’était pas tant une question de marge que d’offrir un contact direct avec l’artisan. Je voulais mettre en valeur ce trésor qu’est le travail de la main, pratiquement du sur-mesure » détaille Houssam Kanaan. Les premiers projets ont les honneurs de la presse, l’atelier intégré rassure les clients, mais le modèle direct s’épuise vite. Décision est prise de trouver des distributeurs. En Janvier 2015, la petite équipe expose à MAISON&OBJET, section now!. « Il n’était pas question de débuter ailleurs, ce salon est incontournable en Europe. Exposer a été un tournant pour nous, car nous sommes sortis de notre isolement. Nous y avons rencontré d’autres éditeurs, et beaucoup questionné nos problématiques communes que sont la logistique, le marché… Les échanges sont très intenses durant cette semaine ! » Janvier 2017, Houssam et Meghedi sont séduits par les créations de Karl Chucri and Rami Boushdid. Les fondateurs de Studio Caramel présentent pour la première fois à la Paris Design Week. Ils ignorent qu’ils sont libanais eux aussi. Kann Design édite un élégant chariot-bar aux accents 50’s. Un an après, Studio Caramel est consacré par le Rising Talent Awards de MAISON&OBJET. On assiste à la naissance d’une jeune génération de designers libanais. Ce n’est un hasard. « L’Académie des Beaux- Arts de Beyrouth a ouvert il y a dix ans un master de design et mobilier qui n’existait pas, explique Karl Chucri. Rami et moi sommes pour notre part architectes de formation. Après l’Alba, les Beaux-Arts de Beyrouth, nous avons obtenu nos masters à l’IED Madrid et à la Scuola Politecnica di Design de Milan pour Rami. » Ne leur parlez pas de style arabisant. « Nous faisons appel à des designers libanais pour partie, renchérit Houssam, mais ce n’est pas une obligation. » Paris reste un épicentre. Houssam et Meghedi y ont emménagé il y a 17 ans. La boutique s’est déplacée rue de Vinaigriers, près du Canal Saint Martin. Kann a des distributeurs en France et en Europe. A Beit-Chabab, Kanaan Kanaan, 76 ans, met au point les prototypes et les process pour son fils. Le frère, Samer, a laissé tomber sa carrière d’astrophysicien au Chili pour s’occuper de l’atelier, qui a été agrandi. Sur place, Kann Design collabore avec les tapissiers, marbriers, peintres, canneurs et ferronniers. « Nous avons deux ateliers. L’un pour le sur-mesure, l’autre standard et un bureau d’étude pour les projets. Nous venons d’achever les aménagements du nouveau restaurant Clover de Jean-François Piège à la Bastide de Gordes, avec l’agence Notoire. » Série, sur-mesure, Kann est sur tous les fronts. Pour la première fois, l’éditeur exposera aussi à l’édition de septembre en plus de celle de Janvier en mettant l’accent sur les tables et les chaises. « La nouvelle thématique "Let’s work together" nous ouvre des perspectives. »
Par Caroline Tossan