Artisan, le pari fou de Drazen et Fadil

« Nous aimons le bois ». La profession de foi de la marque Artisan tient en quatre mots.  En Bosnie-Herzégovine, cette passion est l’héritage d’une longue tradition : les forêts recouvrent 60% du territoire. Le bois est la deuxième industrie du pays, après le métal, et tient principalement dans l’exportation de matière première ou la manufacture de chaises en série. À une autre échelle, les ateliers de menuiserie familiaux y fleurissent et fabriquent pour le marché local. C’est dans l’un d’eux, celui de la famille Ćostović, qu’est née en 2007 la marque Artisan. Le grand père avait débuté son activité dans son garage durant les années 70, à Tešanj, une petite ville à 150 km au nord de Sarajevo. Au début des années 2000, ses descendants développaient l’affaire, fabriquant pour des designers néerlandais ou britanniques. Il faut croire que la famille possédait un savoir-faire exceptionnel puisque le plus grand architecte du pays, Amir Vuk, de Studio Zek, avait fait appel à eux pour aménager l’hôtel Termag, un très bel hôtel contemporain près du Mont Jahorina. C’est en visitant l’hôtel avec l’architecte, que l’homme d’affaires Dražen Poznanović, fut charmé par la qualité de l’ébénisterie, qu’il pensait avoir été réalisée… en Italie. Il confie alors la rénovation de sa villégiature de Dubrovnik à Zec et s’offre le savoir-faire de la maison Ćostović. « Leur travail était impeccable, extraordinaire, se souvient-il aujourd’hui. J’ai réalisé qu’ils avaient de l’or dans les mains. J’ai immédiatement entrepris de convaincre Fadil Ćostović de s’associer avec moi. Par chance, ça n’a pas été trop compliqué. Nous avons fondé Artisan en 2007 avec dix employés. »  

Drazen Poznanović propose à Fadil et son neveu Mirza de moderniser l’outil de production. Mieux : de créer une marque. « Dessiner nos propres produits, avec notre propre design, un style qui soit reconnaissable au premier coup d’œil, raconte l’homme d’affaires. On ne voulait pas être la nième menuiserie travaillant pour des marques étrangères. ». Les deux premières années, Artisan collabore avec des architectes internationaux en sur-mesure. En 2010, l’équipe contacte de jeunes designers bosniaques et croates pour développer la première collection en nom propre. « Ce n’est pas rien. En Bosnie nous avons l’habitude de fabriquer pour les marques étrangères, que ce soient des voitures ou des meubles. Pas de les dessiner ! » Drazen et Fadil ont eu cette idée folle de créer une marque de design Bosniaque ! » plaisante - à peine - Armin Huremović, le directeur commercial d’Artisan. « Ils nous ont donné confiance en notre talent. Si un Français ou un Allemand sait le faire, pourquoi pas nous ? »

« On doit découvrir nos créations avec les mains »

Treize années plus tard, les collections d’Artisan sont toujours signées de nombreux designers bosniaques ou croates, comme l’équipe de Regular Company, dont les membres étaient encore étudiants au départ, et ont reçu les plus grands prix depuis. On compte aussi les Italiens du Studio Pang, l’allemand Michael Schneider, des Japonais, Israéliens, Suisses, Français... Le style Artisan : organique, doux, minimaliste. De dix employés au départ, la marque emploie désormais 220 salariés et est présente dans le monde entier. L’entreprise sélectionne le bois sur place, chêne, hêtre, pin, noisetier, érable. Du design à la production, en passant par le service commercial, tout est intégré. « En plus d’ouvriers travaillant de longue date pour nous, nous avons la chance d’avoir une jeune génération d’artisans très doués, constate Armin Huremović. Nous travaillons en même temps avec des machines très sophistiquées et des outils très anciens. Nous avons envoyé une partie de l’équipe se former aux dernières technologies en Allemagne ou en Italie, d’où proviennent les machines. Elles nous font gagner du temps à certaines étapes. Mais 70% de la production se fait encore à la main, qui reste le plus bel outil jamais inventé. Ponçage, assemblage, huilage, chaque détail doit être parfait. Je dis souvent que l’on doit découvrir nos créations avec les mains. C’est très sensuel. » 

Durant toutes ces années, il a fallu convaincre qu’Artisan, marque bosniaque, pouvait offrir un niveau de qualité et un design équivalents aux plus grandes signatures européennes. « Nous avons réussi ce pari de proposer des produits uniques, avec un excellent service clients, à un prix raisonnable pour ce niveau de qualité, » se félicite Drazen Poznanović.  Les tarifs Artisan sont en moyenne 30% inférieurs à ceux de leurs concurrents. L’équipe est partie exposer en Europe, en Chine, aux Etats-Unis. En janvier 2020, elle choisit pour la première fois Maison&Objet Paris. « C’était extraordinaire, se souvient Armin Huremović. Il y avait foule sur notre stand en permanence. Nous avons réalisé de nombreuses ventes à l’international, et la France est devenue depuis deux ans l’un de nos principaux acheteurs. » À Paris, les clients du restaurant Marsan, d’Hélène Darroze, savourent leur repas deux étoiles Michelin dans des fauteuils Artisan. Enfin… quand ils pourront. Plus que jamais, rendez-vous est pris à Maison&Objet Paris pour janvier 2022. Artisan, un mot français, qui leur a porté chance. Il rend hommage à la passion des Bosniaques pour leurs forêts : « Nous aimons le bois parce que nous l’avons connu toute notre vie. De la forêt dans laquelle nous avons joué quand nous étions enfants, à la vocation à laquelle nous avons dédié notre vie d’adulte. » 

Par Caroline Tossan
Illustration © Sarah Bouillaud

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