A 14 ans, Alicia Wallace effectuait sa première mission de charité au Mexique. A 22, elle partait en Sierra Leone avec des médecins humanitaires. Aujourd’hui, cette Américaine fournit du travail à des milliers d’artisans Africains.
Si Alicia Wallace avait voulu se contenter d’être philanthrope, elle aurait monté une ONG et partagé sa vie entre les dîners de charité aux Etats-Unis, et les villages déshérités du Rwanda. Mais pour cette trentenaire profondément altruiste, il y avait plus efficace que de courir après des donateurs. Il fallait émanciper les populations en difficulté, dans la dignité. La société All Across Africa, qu’elle a fondée avec son mentor Greg Stone, fait travailler plus de 3600 personnes au Rwanda, au Ghana et en Ouganda. Ces artisans, pour la plupart des femmes, tissent des paniers traditionnels à partir de dessins mis au point dans le bureau de style de San Diego. Ils sont ensuite achetés par « AAA » et vendus à l’international sous la marque Kazi. La société est une Benefit Corporation, une forme juridique spécifique à l’Amérique du Nord. Le business model permet de s’auto-financer avec des bénéfices tout en étant tenu de prouver à ses actionnaires sa valeur ajoutée pour la société. «Plus nous gagnerons de l’argent, plus nous nous développons, plus nous faisons travailler de personnes et plus ces familles vivront confortablement » explique Alicia Wallace derrière le comptoir de son stand, à MAISON&OBJET.
La jeune femme, originaire de Seattle, a parcouru un long chemin depuis qu’elle s’est engagée en 2010 aux côtés de son futur associé Greg Stone, au sein de l’association Rwanda Partners. Alicia avait été bouleversée par les enfants mourants de Sierra Leone. Au Rwanda, elle vient en aide à une population traumatisée par le génocide de 1994. Désespérés de convaincre les mères d’envoyer leurs enfants à l’école au lieu de les réquisitionner aux champs, Alicia et Greg trouvent la solution : les femmes fabriqueront des paniers et ils créeront une société pour les vendre à l’étranger. Pour le foyer, ce sera un revenu suffisant pour se passer du travail des enfants.
« Je suis proche de ces mères africaines. Plus je vendrai, plus j’en sortirai de la pauvreté. »
Les premières volontaires sont deux sœurs, Priscilla et Maria. En 2013, elles réussissent à fédérer une trentaine d’artisans autour d’elles. Côté débouchés, Alicia commence très fort en convainquant la chaîne de vente en gros Costco de distribuer ses paniers faits mains. Le produit est super joli, et tellement décalé entre les packs de bière et les piles de papier toilette, qu’il séduit immédiatement. En un an, Alicia monte une équipe de cadres, apprend aux femmes à ouvrir un compte en banque, monte des coopératives… et forme 3000 artisans. All Across Africa leur achète à un prix cinq fois supérieur à celui du marché local, pourvu que chaque pièce soit impeccable, produite avec les fibres naturelles locales, et à la condition expresse que les enfants soient scolarisés. « L’effet est vertueux, commente Alicia. La première année, les familles sont mieux nourries, la deuxième, l’habitat s’améliore. Enfin, ils sortent de la pauvreté. » Indirectement, c’est toute la communauté qui change ses conditions de vie : en payant des impôts, les familles contribuent à l’électrification des villages et à la construction de routes. Les études d’impact montrent qu’un artisan fait vivre 5.7 personnes mais crée aussi des emplois dans l’enseignement, la construction, la médecine, l’agriculture.
Aujourd’hui, les artisans sont organisés en coopératives indépendantes, au Rwanda, Ghana et Ouganda. AAA compte 50 employés, une dizaine aux Etats-Unis et une quarantaine sur place. « Le marché Américain est limité, c’est pourquoi nous sommes venus à MAISON&OBJET et depuis nous vendons dans 60 pays. Et puis à Paris, le challenge est aussi créatif. » La marque s’est positionnée sur plusieurs créneaux : des pièces au design assez simple pour la grande distribution, et d’autres plus sophistiquées pour les boutiques sélectives, comme par exemple celle du Musée Guggenheim à Venise. Les dessins des paniers rendent hommage à la culture de cette région des Grands lacs et sont symboles de paix : trois bandes en zigzag pour l’unité des ethnies, des courbes pour les montagnes des mille collines, des cercles pour la renaissance qu’offre la mousson.
Alicia s’est fixé pour objectif de donner du travail à 6000 artisans, en ajoutant le Kenya et l’Ethiopie. « Je suis maman d’un bébé de neuf mois, je me sens d’autant plus proche de ces mères africaines. Plus je vendrai, plus j’en sortirai de la pauvreté. » Les yeux de la jeune femme se troublent quand elle évoque le Burundi, pays où elle avait commencé à s’implanter, à la demande expresse de l’ONU. La guerre civile a rendu l’entreprise trop périlleuse. Une frustration qui rend encore plus précieuses ses autres réussites.
Par Caroline Tossan