Rising Talents Awards : Cap au Nord !

Cette année, l’équipe de Maison&Objet a fixé sa boussole en direction du cercle polaire afin d’y choisir les lauréats des Rising talents Awards 2024 : tous viennent des pays du nord, Suède, Danemark, Norvège, Finlande et Islande. Les lauréats ont tous moins de 35 ans et ont créé leur studio il y a moins de 5 ans. « Les pays nordiques font preuve d’un très grand dynamisme, soutenu par une riche histoire, des talents mondialement reconnus et un savoir-faire considérable, souligne Dereen O’Sullivan, responsable Rising Talents Awards pour Maison&Objet. Il y a dans le Nord de l’Europe un rapport différent au temps et aux matières naturelles. La jeune génération affirme un nouveau langage souvent proche de l’artisanat et du Collectible Design.» Le jury rassemble des talents confirmés choisis dans chaque pays. Le duo franco-suédois de designers Färg et Blanche, la designer danoise Gesa Hansen, et Joanna Laajisto, dont le studio d’architecture et de design basé à Helsinki, enfin David Thulstrup, architecte et designer danois. Mais aussi des experts : Halla Hellgadóttir, consultante, designer graphique et directrice de l’agence de promotion Iceland Design and Architecture et Cecile Molvær Jørgensen, conseillère de Design and Architecture Norway. Stéphane Galerneau, président d’Ateliers d’Art de France, a choisi quant à lui la lauréate du Rising Talent Award Craft. « Notre choix s’est porté sur une céramiste travaillant à la frange entre l’artisanat et l’art, explique ce dernier. Elle a su s’affranchir des valeurs patrimoniales liées à cette pratique pour affirmer une véritable identité.»

LES TALENTS

Christian + Jade 

La philosophie du matériau
Christian Hammer Juhl, 33 ans, est Danois, Jade Chan, 29 ans, est née à Singapour. Tous les deux ont étudié à la Design Academy Eindhoven. Ils ont établi leur studio ensemble à Copenhague. « La Design Academy Eindhoven ne dispense pas de diplôme de design industriel en tant que tel mais ouvre notre façon de penser, expliquent-ils. Quand nous commençons un projet, nous ne nous disons pas : nous voulons faire une chaise. Nous observons une matière, et nous demandons ce que nous allons lui faire dire. » De fait, leurs créations sont souvent mono-matériaux, afin d’en explorer toutes les facettes. « Ce morceau de bois, où a–t-il grandi ? Quelles sont les propriétés de cette essence ? C’est notre point de départ », dit Christian. « Trop souvent les objets sont déconnectés de leur histoire. Nous nous attachons à repenser ce qui fait leur valeur, » poursuit Jade. En résidence au Château de Schloss Hollenegg, en Autriche, le duo a fabriqué une fontaine en verre qui coule dans une série de verres à pieds, avec 17 kilos de sable provenant du sous-sol du château. Le domaine appartient à la famille royale du Lichtenstein qui produit du vin. Cette fontaine est destinée à partager le fruit de cette terre dans des verres fabriqués avec son sable… 

Malin Ida Ericksson

Talent CRAFT - Arrêter le temps 
Malin Ida Ericksson, 31 ans, est céramiste. Elle est diplômée en Art de l’Université de Göteborg, puis de Bergen en Norvège, et a effectué un master à l’Université d’arts de Stockholm (Konstfack). Elle a établi son atelier à Stockholm. Née de parents musiciens classiques, elle a trouvé son propre langage artistique dans le travail de l’argile. « Mon travail tourne autour du passage du temps, raconte-t-elle. Quand j’ai commencé mes études d’art, ma grand-mère nous a quittés et cela m’a donné la conscience de cette fuite irrémédiable. L’argile est un bon moyen d’exprimer cette notion, elle est malléable, changeante, si vous ne la cuisez pas vous pouvez encore la modifier en l’humidifiant, si elle passe au four elle restera figée pour toujours. »  Malin Ida Ericksson produit ses œuvres au cours de performances, tout aussi importantes que l’objet lui-même. « C’est une façon de saisir l’énergie du temps présent. Ça a à voir avec mon passé de musicienne, je faisais partie d’une chorale. Après le concert, ce n’est plus le concert. Si vous ne le voyez pas, vous n’y avez pas participé. La question c’est surtout ce qui est raconté. Mes sculptures sont juste la mémoire de ce qui s’est passé. » 

Ali Sha Gallefoss

La joie de l’imprévu
Ali Sha Gallefoss, 35 ans, a grandi à Bergen, en Norvège. Il y a étudié à l’Académie of Art and Design avant d’obtenir un master à l’Academy of the Arts d’Oslo où il vit et travaille désormais. Sa forme d’expression est proche de l’art. « A l’époque, je ne voyais rien qui m’inspirait dans le design industriel. Tout n’était que des redites de l’âge d’or des années 60. Le design scandinave est très bien fait, très subtil, mais un peu ennuyeux. Pourquoi n’y sent-on pas la pluie, les couleurs du temps, la rugosité des montagnes ? C’est pour cette raison que je me suis dirigé vers un design plus artistique. J’aimerais que mes recherches nourrissent de futures productions manufacturées. » Le travail d’Ali Sha Gallefos reproduit les mouvements subtils de la nature. C’est pourquoi il met au point des techniques pour laisser sa matière première s’exprimer presque toute seule.  «  Elle est vivante, explique-t-il. C’est ce qui crée de l’émotion. Quand on dessine trop, on perd quelque chose au passage, j’aime les accidents. Par exemple, pour créer ma table Sandcasted table, j’ai fait couler de l’aluminium en fusion sur un paysage de sable avec des reliefs. Le métal a créé ses propres mouvements et au final, on obtient une face plane et douce au-dessus, et une face qui garde la mémoire du sable dessous. »

Lab La Bla 

Dynamiter le process
Axel Landström et Victor Isaksson Pirtti ont 31 ans. Ils ont grandi dans la petite ville de Luleå, près du cercle polaire, en Suède. Inséparables, ils ont suivi le même cursus scolaire : l’Institut  Lorenzo de Medici en Jewlery Art and design à Florence, puis un diplôme en design industriel en Suède. Ils vivent et travaillent à Malmö. Leur réflexion se base sur trois piliers : l’humain, l’industrie et l’environnement. Une préoccupation héritée des contradictions du terroir où ils sont nés : Luelå est le siège d’une importante usine sidérurgique, qui fournit une grande partie de l’acier Européen. La nature y est aussi magnifique. « Nous cherchons d’autres voies de fabrication. Le designer a une grande responsabilité car il est au carrefour de la recherche, de la matière première, de la façon dont nous produisons. Il réfléchit à la création d’un système vertueux et pérenne. » Pour leur projet Prospective Seats, ils avaient observé que ce conglomérat de l’acier pratiquait des sondages dans la roche pour trouver les gisements de minerais. « Ils extraient des profondeurs des carottes de sédiments destinées à être analysées, puis les stockent, racontent-ils. Nous avons récupéré ces cylindres, qui racontent l’histoire de notre sol, pour en faire des assises.» La méthode de ce duo inséparable passe par l’amusement, avec un sens développé de l’absurde. « Notre atelier est notre terrain de jeu. Nous nous rapprochons de techniciens et de spécialistes en tous genres et hackons leurs process en jouant les idiots. Il se passe quelque chose de disruptif qui ouvre de nouveaux chemins. » 

Frederik Gustav 

Proportions architecturales
Frederik Weber et Gustav Dupont ont 28 ans. Ils se sont connus lors de leurs études à la Royal Danish Academy of Design, où ils ont été diplômés en Furniture Design puis Spacial Design. Ils vivent et travaillent à Copenhague. Leur travail s’inspire avant tout de l’architecture. « Notre installation High Wire débute par l’observation des câbles électriques que l‘on voit dans la rue pour l’éclairage public ainsi que des antennes sur les toits. Ce sont des éléments familiers que l’on ne voit plus. Ce réseau connecte les gens avec de l’énergie. High Wire est une installation de câbles verticaux avec lesquels on peut jouer sur la hauteur de panneaux éclairants. » Le public est invité à participer à l’expérience : « Quand on touche la lampe on ressent un petit frisson électrique. Comme un signal de danger. »  Même s’ils s’affranchissent de leurs illustres aînés, Frederik et Gustav disent s’inscrire dans leur sillage. « Nous suivons la tradition d’un design danois, fonctionnel et honnête. Encore plus honnête car chez nous, tout est montré. Une lampe classique, c’est une enveloppe dans laquelle les fils et les mécanismes sont dissimulés. Dans High Wire, les fils, les attaches, les ampoules, font partie du design… ».

Antrei Hartikeinen

Saisir la nature en mouvement
Antrei Hartikeinen est né dans le village d’Outokumpu dans l’est de la Finlande où il a étudié la menuiserie au collège, avant de se perfectionner en ébénisterie à Salpaus Further Education dans la ville de Lahti. Son atelier est désormais installé à Fiskars, dans le sud du Pays. Sa vocation est née dans l’atelier de son père, ébéniste, qui lui a transmis l’amour bois dans toutes ses dimensions. « Je suis habité par sa naturalité, dit-il. Il n’a jamais la même fibre ni la même couleur, il reste toujours vivant quoi que vous en fassiez. »  A 32 ans, il a déjà été distingué Designer de l’année par Design Forum Finland, et Rising Star of the year par les Scandinavian Design Awards. Son talent est d’exprimer avec poésie son respect pour la nature. « En Finlande, elle change radicalement avec les saisons. Quand la neige fond au printemps, de nouvelles formes naissent, j’essaie de figer ce moment dans la matière. C’est le plus souvent du bois, mais cela peut être du verre, du métal ou de la céramique. Mes vases Melt figurent la surface de la glace chauffée par le soleil de printemps. On y voit de l’eau qui ruisselle, la surface devient transparente, fluide, et l’on distingue différentes nuances de couleurs. » Antrei maîtrise à la fois le geste de la main et les techniques les plus modernes. « Je me confronte directement à la matière, je sculpte, puis je retourne à ma table à dessin ou à mon ordinateur pour ajuster les proportions. Par la suite, j’utilise un bras robotisé CNC qui reproduit le travail de ma main. J’essaie de trouver des moyens pour refaire en série la pièce unique de départ.» 

Studio Flétta

Une économie de moyens
Birt Rós Brynjólfsdóttir et Hrefna Sigurðardóttir ont 33 et 34 ans, elles vivent et travaillent à Reykjavik, en Islande. Elles ont toutes les deux étudié le design produit à l’Iceland Academy of the Arts. Elles ont créé le studio Flétta en 2018.  Durant leurs études, elles se lancent dans un ambitieux projet : récolter les déchets d’une centaine d’entreprises à Reykjavik dans le but de constituer une banque de matériaux à disposition des autres designers. « Nous avons collecté de la laine, des textiles, du bois, du verre, beaucoup de rebus de l’industrie de la pêche, des filets… Personne n’en a voulu. Alors nous avons fondé notre studio pour les exploiter nous-même et en démontrer le potentiel. » Qu’ils soient particuliers ou entreprises, les deux jeunes femmes veulent éduquer leur pays à l’art du recyclage. « Nous collaborons avec des entreprises pour leur apprendre le temps long, pour qu’ils fabriquent des objets que l’on pourra garder longtemps, réparer. Aux consommateurs, nous expliquons de façon simple, compréhensible et joyeuse que l’on peut créer des choses qui apportent du bonheur avec des déchets. » Studio Flétta édite des coussins fabriqués avec d’anciens airbags de voiture. « La scène du design est très jeune en Islande. Nous sommes donc très libres. Nous expérimentons. Nos grands-parents reprisaient les chemises, faisaient du neuf avec du vieux, ils devaient être créatifs. Nous faisons la même chose, mais avec la matière première de l’époque. »