Maison&Objet a donné carte blanche à Paola Navone et Daniel Rozensztroch pour créer à quatre mains le décor inspiré de l’un des restaurants phare du salon. Les deux complices ont sorti leur baguette magique. Et une fabuleuse collection de cuillères…
Ils se connaissent depuis quarante ans et tout ce qu’ils touchent se transforme en or. On ne présente plus Paola Navone, ex-égérie du mouvement Memphis et du studio d’avant-garde Alchimia, architecte et designer italienne de renommée mondiale. Le directeur artistique Daniel Rozensztroch a été, entre-autres, l’un des artisans du succès du concept store Merci. « Daniel est mon jumeau spirituel », dit de lui Paola. « Nous avons en commun ce même goût pour les objets populaires qui ont une histoire. Au design formel nous préférons la superposition des choses qui créent une ambiance très personnelle » enchaîne son ami.
Quand Maison&Objet leur a demandé de concevoir un restaurant événementiel au cœur du salon, ils ont tout de suite été inspirés par la fabuleuse collection de cuillères anciennes de Daniel Rozensztroch. Le nom de ce café singulier, où l’on pourra se restaurer à tout moment de la journée, était tout trouvé : « La cuillère ». Collectionneur compulsif, l’ancien journaliste a traqué au cours de ses voyages des objets du quotidien et accumulé parfois jusqu’à 2000 brosses ou 600 balais de toutes origines. Des cuillères, il en possède 2000, en métal, en corne, en porcelaine, en verre, en os, en nacre… « La cuillère est un objet universel, presque fondamental, dit-il. Elle a été inventée bien avant la fourchette. Elle est le premier outil que l’on utilise bébé, et même le dernier qui nous nourrit quand nous sommes très âgés. Elle symbolise l’échange, la générosité et ses bords ronds, la douceur. C’est un contenant magnifique. Une collection permet d’en analyser la continuité, de mettre en perspective les savoir-faire pour s’en inspirer aujourd’hui. » En conséquence, Paola et Daniel ont décidé que tout ce qui serait servi au restaurant se dégusterait avec… une cuillère. Petit déjeuner, déjeuner, goûter, apéritif.
Côté mise en scène, l’ambiance est délicieusement régressive. « La philosophie de la cuillère, c’est cette convivialité de la cuisine d’autrefois, avec toile cirée en vichy rouge et blanc et rideaux en dentelle » décrit Daniel Rozensztroch. Mais ne vous y trompez pas, la nostalgie s’accompagne d’une mutation conceptuelle. Avec maestria, Paola Navone a twisté ces codes pour concevoir une auberge contemporaine. Elle a dessiné de grandes tables d’hôtes en plexiglas, tenues par des sangles, montées sur parpaings bruts. Elles sont autant de tables d’exposition où l’on peut observer en transparence chaque pièce de la collection, classée par thème, tout en sirotant son café. Les façades sont tapissées de carreaux vichy, surmontés de frises en dentelle de papier blanc, découpées au laser par l’équipe de Procédés Chénel, une entreprise française du Patrimoine vivant. Autre détournement : la collection de cuillère s’affiche aussi en motifs géants sur un papier peint de l’éditeur néerlandais NLXL. « Paola est incroyable, dit son ami. Dans la vie, elle est capable d’improviser un dîner pour vingt personnes alors qu’elle n’est pas équipée pour. Sa fantaisie lui fait détourner tout ce qu’elle a sous la main pour créer une ambiance magique et poétique. La modernité ce n’est pas d’avoir de dépenser des sommes folles dans des total-look, c’est se faire s’entrechoquer l’ancien et le futur, c’est décaler et empiler les époques. »