De plus en plus de designers choisissent l’auto-édition dans le but d’affirmer leur vision de façon libre et authentique. Maison&Objet donne la parole à quatre signatures internationales dans un espace dédié.
Depuis son édition de septembre 2022, Maison&Objet faisait découvrir les designers français travaillant en auto-édition. Talents So french leur donnait carte-blanche pour faire-connaître leurs créations sur un espace d’exposition au cœur du salon. Bina Baitel, Charlotte Juillard, Pierre Gonalons et Samuel Accoceberry étaient les premiers élus, suivis en janvier 2023 par Cédric Breisacher, Elise Fouin, Gregory Lacoua et Victoria Wilmotte. Un an plus tard, l’opération est rebaptisée The Designer’s Studio et s’ouvre aux designers internationaux ayant choisi la même approche : lancer leur propre collection et en assurer la production. Cette prise de parole est l’opportunité, au fil des rencontres, de partager leur vision originale et leur parcours d’entrepreneur. Au cœur du Hall 7, section Signature, on découvre cette saison la production personnelle des Britanniques Faye Toogood et Sebastian Cox, du studio espagnol Masquespacio et du Néerlandais Dirk Vander Kooij.
Sebastian Cox est Britannique et faisait partie des Rising Talent Awards de Maison&Objet consacrés à l’Angleterre en 2017. Sa marque éponyme s’est donnée pour mission de produire du mobilier en générant des émissions de CO2 négatives et aucun déchet. Ses collections sont imaginées exclusivement dans le bois qu’il produit lui-même, à Londres et ses environs. Le modèle que Sébastian Cox a mis au point avec son épouse Brogan se veut holistique : le concepteur produit sa matière première qu’il transforme sur le lieu de production. Le couple exploite plusieurs hectares de forêt dans le Kent, où est situé leur atelier. Les collections font la part belle au Platane londonien, au Sycomore, cerisier ou noyer anglais, à l’Orme écossais. Du mobilier « honnête et élégant » où la nature reprend le dessus. Le couple s’est donné pour objectif de doubler la superficie de terres sauvages en Grande-Bretagne d’ici 2040.
Sebastian, pourriez-vous vous présenter ?
Mon nom est Sebastian Cox, je suis designer, fabricant et écologiste. J’ai débuté mon activité en 2010 en construisant des meubles en branches de noisetier, un bois abondant et assez négligé en Angleterre. Son avantage est qu’il pousse très vite. Aujourd’hui, mon studio et mon atelier continuent à dessiner et fabriquer des meubles à partir d’essences de bois anglais qui se régénèrent rapidement et de façon durable. Nous étudions et développons de nouveaux matériaux, comme le mycélium. Et depuis quelque temps, nous supervisons la création ou le réaménagement de forêts en terres entièrement sauvages.
Quels sont les avantages de l’autoédition et pourquoi avoir choisi ce mode de production ?
J’ai d’abord étudié la menuiserie et peu après je me suis formé au design durable. Je ne concevais pas mon avenir sans essayer de trouver des solutions à la crise climatique et sans utiliser ces deux compétences. Mon originalité est que je voulais utiliser du bois massif britannique, ce qui n’est pas commun ici. On préfère souvent le bois européen, plus formaté. J’ai dû fabriquer mes propres feuilles de bois pour faire des placages dans mon atelier.
Que représente Maison&Objet pour vous ?
Nous avons moins voyagé depuis la pandémie et le Brexit. Le coût environnemental d’un voyage compte aussi depuis la crise climatique. Maison&Objet est une occasion appréciable et utile de renouer avec nos pairs.
Le Studio Masquespacio est né à Valencia, en Espagne, de la rencontre de la Colombienne Ana Milena Hernández et du Belge Christophe Penasse. Ana s’occupe du design, Christophe de l’organisation et de la communication. Depuis 2010, ils ont signé entre autres un restaurant de Suchi à Milan donnant l’impression de dîner dans une capsule temporelle, un club de fitness à Salzbourg dans un style cyberpunk, enfin le nouveau concept des boutiques Mango Teens en Espagne, transportant ses jeunes clients dans un univers (presque) virtuel. Les miroirs irisés, les couleurs de crèmes glacées, les effets d’optique signent leur style joyeux qu’ils veulent « out of the box » et pour lequel ils ont déjà reçu une cascade de prix. Le Studio vient de lancer Mas Creations, son mobilier en autoédition. Leur premier meuble est un Rocking Chair rigolo en marbre, velours et acier brossé, très influencé du Style Memphis. Son nom : Too Much. Un manifeste.
Ana, Christophe, pourriez-vous vous présenter ?
Ana: je suis née à Bogota, en Colombie et quand j’ai eu 18 ans, j’ai décidé de m’installer en Espagne pour étudier l’architecture d’intérieur. A la fin de mes études, en 2010, nous avons débuté ensemble avec Christophe l’aventure Masquespacio.
Chris: Je suis né à Vilvoorde, en Belgique, à 5 kilomètres de Bruxelles. J’ai déménage en Espagne il y a 17 ans pour réaliser mon rêve de vivre dans le pays dont j’étais tombé amoureux en tant que touriste. Après quelques années à travailler dans une société commerciale, nous avons lancé Masquespacio pour mettre en lumière le talent d’Anna.
Quels sont les avantages de l'auto-édition et pourquoi avoir choisi ce mode de production ?
Nous concevons depuis longtemps des projets et des stratégies pour de nombreuses marques. Dès le départ, nous nous sommes intéressés au processus de production et nous avons commencé à rêver de fonder notre propre marque de meubles. C’est une idée que nous avions depuis le début de notre carrière. L’auto-édition nous permet de créer librement et aussi d’explorer toutes les capacités des outils que nous utilisons. En même temps, cela nous donne la possibilité de maîtriser notre communication. De cette façon, nous pouvons affirmer notre vision à 100% et concevoir notre univers sans aucune limite.
Quelle est votre expérience avec Maison&Objet et que représente le salon pour vous ?
Pour nous, Maison&Objet est LA référence en matière de nouveautés liées au design et à la décoration. Nous avons eu la chance d’y exposer certaines de nos pièces Mais aussi de concevoir un stand et chaque fois nous avons rencontré un franc succès. Nous sommes heureux de revenir et d’avoir la chance de vous montrer nos nouvelles créations.
Faye Toogood vit à Londres, où elle mena une première carrière en tant qu’éditrice au magazine World of Interiors. De son diplôme d’histoire de l’art, elle a gardé un esprit ouvert lui permettant d’aborder toutes les disciplines, dans un principe de « cross-pollinisation » où chaque pratique enrichit l’autre. Ainsi, lorsqu’elle fonde son propre studio en 2008, elle se consacre à la mode, à l’architecture intérieure et au design. Ses collections de mode, pour hommes, femmes et unisexe, sont créées avec sa sœur Erica Toogood et s’inspirent des vêtements de travail. Faye Toogood décrit son style comme « rigoureux, poétique et résolument d’avant-garde ». Il s’inspire de l’art brut et du primitivisme. Sa chaise Roly-poly, éditée par Driade, est déjà dans plusieurs musées. Elle a imaginé des installations pour la boutique Hermès à Paris, un décor pour celle de Mulberry à Londres et produit des meubles en auto-édition.
Faye, pourriez-vous vous présenter ?
Je dis souvent que je « bricole » quand les gens me demandent de me présenter. Mais si vous désirez la version longue, la voici : avec un bagage en histoire de l’art, j’ai commencé ma carrière au magazine américain World of Interiors où je suis finalement devenue rédactrice et styliste pendant huit ans. En 2008, j’ai décidé de fonder mon propre studio de design, Toogood. Depuis, ma pratique couvre l’architecture d’intérieur, la vaisselle, les beaux-arts et la mode - je refuse d’être cataloguée dans une seule discipline, ou une façon précise de travailler-. Je me définis aussi comme une « outsider », je pense que mon travail ne rentre dans aucune case et navigue entre les genres.
Quels sont les avantages de l’auto-édition et pourquoi avoir choisi ce mode de production ?
Etre maître de mon travail est à la fois un défi et une opportunité. Cela me permet une liberté totale de création, que je ne changerais pour rien au monde. L’auto-édition me permet de rester spontanée, de me fier à mon intuition, tout en trouvant de nouveaux concepts et idées, ce qui est essentiel à ma pratique de designer.
Que représente Maison&Objet pour vous ?
J’ai hâte d’exposer pour la première fois à Maison&Objet cette année. Pour moi, présenter à Maison&Objet est une occasion unique de toucher et de rencontrer des gens que je n’avais jamais croisés auparavant. Je vais montrer ma série de céramiques Dough - un ensemble de dessins forts, audacieux, sculpturaux, mais ludiques - et je suis curieuse de voir comment les gens interagissent avec elles. Pour moi, ce qui est le plus important, c’est que, grâce à Maison et Objet, cette collection se retrouve dans n’importe quel foyer.
La passion de Dirk van der Kooij pour le recyclage a commencé dès ses études à l’Academy de Design d’Eindhoven, aux Pays-Bas. Dans le sous-sol de l’école, il fait fondre du plastique dans six fours à pizza : le but est de donner à cette matière un semblant de noblesse. Une fois démoulée, la matière molle s’est gentiment plissée et rétractée, créant un effet digne d’intérêt qui engendra la première série du designer : Elephant Skin. Studio Kooij était né. S’en sont suivies toutes sortes d’expérimentations à base de CD jetés, de canapés en cuir hors d’âge, d’appareils électroménagers et de moules à chocolat. Dix ans plus tard, Studio Kooij fonctionne toujours sur ce fondement : les artisans menuisiers, soudeurs, coloristes et finisseurs changent les rebus en meubles luxueux grâce à la haute technologie. Les créations répondent à trois principes : longévité, fonctionnalité, joie. La joie de fondre, d’extruder, de presser, de triturer la matière pour lui donner la forme désirée et se laisser guider par elle. Les meubles Kooij font les beaux jours du MOMA et du Vitra Museum.
Dirk, pouvez-vous vous présenter ?
Je vais faire de mon mieux ! Je suis Dirk, et durant les quinze dernières années, j’ai autoédité des meubles presque tous en plastique recyclé. J’avais l’habitude de travailler le bois mais j’ai bifurqué vers ce matériau car il était mal-aimé. J’aime beaucoup me saisir de matières premières considérées comme bon marché ou jetables. J’ai consacré ma carrière à inventer des textures et des effets qui sont propres au plastique.
Quels sont les avantages de l’autoédition et pourquoi avoir choisi ce mode de production ?
Pour être honnête, je n’avais pas vraiment le choix ! J’ai créé mon studio quand j’étais encore étudiant, en investissant 150 euros dans un loyer et bricolant des machines avec des pièces détachées. La vente de chaque chaise finançait la suivante. Payer une usine pour produire à ma place était hors de question. Notre croissance a été lente, mais je ne referais pas autrement. Il n’y a pas de mode d’emploi pour le plastique recyclé. Les experts que j’ai interrogés me répétaient que mes idées étaient impossibles à réaliser. Parce que nous avons tout fait tout seul, nous avons acquis une véritable expertise sur les possibilités et les limites de ce matériau.
Que représente Maison&Objet pour vous?
On espère s’y faire de nouveaux amis ! Paris est l’une de mes villes préférées. Il y a ici une façon unique de réunir les gens. Le salon nous offre aussi une chance de nous présenter nous-même, ce qui est l’une des joies de l’autoédition. Chez nous, tout est fait maison, y compris les ventes. Donc avoir l’opportunité d’établir des relations personnelles avec les visiteurs rend l’expérience encore plus enrichissante. Nous allons exposer les premières nouvelles pièces à entrer dans la collection depuis deux ans, ce qui me stresse un peu. Mais nous sommes impatients !