Artisan, designer et architecte, Piet Hein Eek faisait il y a trente ans de l’écologie sans le savoir. Ce qui a fait de lui un visionnaire.
À Eindhoven, Piet Hein Eek a installé ses bureaux sur une friche industrielle dans les anciens bâtiments de Philips, le fleuron industriel de cette ville du sud des Pays-Bas. Cet immense quartier, le Strijp-R, est devenu en quelques années le cœur battant du design néerlandais. Piet Hein Eek y occupe 10 000 mètres carrés. En plus d’y installer son studio et son atelier, le designer en a fait un lieu d’inspiration. Une centaine de personnes travaillent dans cette ruche, une cinquantaine dans la manufacture. On y trouve une boutique, où ses propres créations dialoguent avec d’autres et des collections vintage, une galerie d’art, une salle d’exposition, un restaurant, des espaces à louer pour des événements. En Janvier, il réalisera un vieux rêve en y ouvrant un hôtel perché tout en haut. 13 chambres, qu’il a conçues de la poignée de porte à la chasse d’eau. Les teintes des murs sont éditées en collaboration avec Vliegenthart, une marque plus que centenaire, les lits créés pour l’occasion avec Auping. Chaque chambre recevra l’œuvre d’un artiste.
La majorité des créations du designer néerlandais sortent de cette manufacture où tout est produit à la main, en petite série. Piet Hein Eek est un artisan du design. Son style est reconnaissable entre tous et connu dans le monde entier. Il s’est fait remarquer dès son projet de fin d’études : en 1989, il assemblait de vielles planches de bois récupérées sur des chantiers pour en faire des meubles. Son « scrap wood » est une technique de marqueterie d’un genre nouveau. Les planches gardent leurs couleurs d’origine et leur patine avant d’être vernies. Piet Hein Eek travaille aussi volontiers le métal, la céramique, le verre, le plastique de recyclage. Il est capable de concevoir un fauteuil club à partir de traverses de chemin de fer. « Il existe une vraie tradition de la récupération en Hollande, fait-il remarquer. Quand des bâtiments sont détruits, les matériaux servent toujours. Souvent pour l’extérieur, pour fabriquer des cages pour les poules ! Quand j’ai choisi ce mode de production en 1989, c’est avant tout parce que ce n’était pas cher. On a trouvé ça très créatif, avant-garde. » Avec raison. Travailler des matériaux de récupération, qui plus est de façon artisanale, s’est avéré visionnaire. Les années 90 voient exploser une nouvelle vague néerlandaise, Richard Hutten, Hella Jongerius (tous deux diplômés de la Design Academy Eindhoven comme Piet Hein Eek) mais aussi Marcel Wanders. L’éditeur Droog Design, né à la même époque, est leur carrefour de rencontre.
La patte de Piet Hein Eek se lit dans l’imperfection et l’unicité de ses créations faites à la main. Le quinquagénaire revendique des références au courant Art&Craft hollandais, admire le mouvement artistique De Stijl dont faisait partie l’architecte et designer Gerrit Rietveld. Si l’inspiration est industrielle, c’est qu’elle est dictée par le matériau de départ. « On peut dire aujourd’hui que tout est possible en design. Les modes de production sont sans limites. Ma conception est différente. Je ne dessine qu’avec ce que j’ai de disponible et seulement pour un besoin précis de mes clients. J’ajouterais aussi, seulement avec les talents qui sont à ce moment-là dans mon atelier. Pas la peine d’aller chercher des désirs qui n’existent pas ou des matériaux qui viennent de loin. C’est excellent pour l’empreinte écologique ». Dans sa manufacture, des tonnes de matériaux attendent « leur » moment. Au cœur de la Factory, le bureau du patron est un joyeux désordre où il passe ses journées à dessiner et écrire. Storytelling et dessin sont chez lui intimement liés. « Je suis moins concentré sur l’aspect final de mes créations que sur l’histoire qu’elles racontent. Je peux toujours raconter ce que je fais. » Son hôtel, ses cuisines en métal, ses meubles, la prochaine boulangerie qu’il aménage, sa maison de campagne en Dordogne, tout est raconté par Piet Hein Eek lui-même sur le blog de son site internet. Une façon d’humaniser plus encore son travail.