Les brésiliens Humberto et Fernando Campana viennent de fêter leurs 35 ans de création. L’heure d’un premier bilan.
« Ce serait un honneur si, en tant que designers, nous avons contribué à faire passer un peu de conscience écologique aux générations suivantes », déclarait Fernando Campana au quotidien Le Monde en 2016. Alors que la plus grande rétrospective de leur œuvre vient de s’achever au Musée d’Art Moderne de Rio de Janeiro, les deux frères, associés depuis 1984 et basés à São Paulo, poursuivent leur œuvre à deux têtes, baroque, foisonnante et extravagante. À mi-chemin entre le design et l’art. Car si les Campana ont dessiné des corbeilles pour Alessi ou peint des assiettes en porcelaine fine pour Bernardaud, la majorité de leurs créations ne sont éditées tout au plus qu’à une dizaine d’exemplaires. Elles sont exposées dans des galeries, ou dans les musées du monde entier, du MOMA de New-York au Vitra Museum en Suisse en passant par le Musée des Arts Décoratifs de Paris qui leur consacra une importante exposition en 2016. Edra édite également quelques pièces iconiques : la Vermelha chair (« chaise rouge ») faite de 500 mètres de corde noués sur une structure, qui en 1993 les a propulsés sur la scène internationale, mais aussi la Favela chair, agrégat de dizaines de morceaux de bois de récupération, inspirée des méthodes de construction des bidons-ville brésiliens.
« Nous aimons changer les matériaux les plus pauvres et modestes en objets opulents », explique Humberto, l’aîné de la fratrie. Leur studio, installé au cœur d’un quartier populaire et vibrant de São Paulo, leur sert de base d’exploration pour récupérer sur le trottoir la matière à deux-sous qu’ils vont tresser, coller, coudre à la main : chutes de bois, chaises en plastique, morceaux de cuir. C’est en croisant, dans le quartier, un homme chargé d’un gros ballot de peluches sur la tête qu’ils ont eu l’idée de leur fauteuil « banquette » où s’ébattent joyeusement tigres, panthères, crocodiles et autres dauphins en fourrure synthétique. Humberto, qui fut dans un premier temps avocat, aime le travail quotidien de l’atelier. Il sculpte. « Je ne travaille pas avec mon cerveau, dit-il, mais avec mes tripes. » Fernando, architecte de formation, est plus conceptuel. Tous les deux redonnent leurs lettres de noblesse à l’artisanat. Leur artisanat, imprégné de l’ingéniosité populaire du Brésil. « J’appartiens à un pays qui écrit encore son histoire, nous n’avons pas une longue tradition derrière nous comme en Europe, dit Humberto, lors de la conférence « From Instituto Campana with love », à l’occasion des Digital Days Sustainable de Maison&Objet. On y découvre aussi l’engagement de leur œuvre, un hymne à la protection de la nature, à la préservation des ressources. « Nous faisons le récit de ce qui se passe sous nos yeux, la dévastation des forêts, le populisme, les migrations, le monde est sens dessus dessous » déplore encore Humberto. En 2009, ils ont créé l’Instituto Campana avec pour vocation l’inclusion sociale, à travers l’enseignement de toutes sortes de techniques artisanales. Dans la campagne où ils ont grandi, dans l’état de São Paulo, les deux frères ont planté des milliers d’arbres, et sculptent un jardin en land art. Le lieu accueillera à un musée, où sera conservé leur patrimoine artistique.