À chacune de ses éditions, Maison&Objet* distingue les signatures les plus marquantes de l'actualité internationale du design et de la décoration en sélectionnant le Designer de l'année. Après l’architecture éclectique de Franklin Azzi, l’édition de septembre 2022 met à l’honneur la sophistication érudite de la designer et architecte d’intérieur Cristina Celestino, l’un des visages les plus remarquables du design italien aujourd’hui. Une personnalité discrète au talent délicat et étincelant qui nous ouvrira, le temps du salon, les portes de son « Palais Exotique », pour une immersion temporaire dans une autre réalité.
Cristina Celestino est née à Pordenone en 1980. Après des études d’architecture à l’université IUAV de Venise, elle commence à collaborer en 2005 avec différents studios de design et concentre son attention sur l’architecture d’intérieur et le design. En 2011, elle fonde la marque Attico Design et en 2013, elle crée son propre studio à Milan. Cristina Celestino Studio se consacre à présent à la direction créative et au design de projets exclusifs destinés à une clientèle privée et à des entreprises, s’étendant du résidentiel à l’hôtellerie.
Le canapé représente également une typologie de produit avec laquelle je suis très à l’aise et que j’aime beaucoup explorer. C’est un lieu de rencontre et de bavardage pouvant offrir mille attitudes et typologies que j’ai beaucoup explorées dans mon travail. Pour moi, le sofa n’est pas seulement un produit, mais un lieu toujours plus fluide où il fait bon se sentir bien et dialoguer, mais aussi travailler ou se détendre.
Je trouve que les bijoux sont des objets conjuguant l’esthétique à la fonction et à l’ergonomie avec maestria. En outre, je distingue dans les bijoux un très haut niveau d’étude du détail qui devient esthétique ; ce sont donc des objets très intéressants pour un designer. C’est pour cette raison que j’ai étudié les boutons de manchette, les bagues et les boucles d’oreilles.
Dans le cadre du projet Back Home de Fendi Casa, le brief demandait de revisiter le Pequin – à savoir le motif classique à rayures marron foncé et camel. Le thème étant très libre, je suis partie du thème de la romanité, du retour aux origines. Ensuite, je me suis concentrée sur la terrasse romaine, les jardins et l’utilisation typique des matériaux à Rome. Le thème des boutons de manchette s’inscrivait dans cette étude d’éléments décoratifs. L’attache des boutons de manchette a été agrandie et s’est transformée en contrepoids afin d’équilibrer une lampe. En outre, j’ai conçu des miroirs jouant avec le thème du double, réunis par une chaîne évoquant une fois encore les détails joailliers. J’ai également utilisé le fermoir papillon des boucles d’oreilles pour créer des tables basses même si, en réalité, je m’en étais initialement servi pour des canapés, où cette grande vis au dos permettait techniquement d’ancrer le coussin au siège. Mais c’est également devenu un élément décoratif.
L’univers de la mode m’est résolument familier et j’ai conscience du travail et de la recherche sous-jacents à un produit frivole et rapide en apparence. On parle d’un travail très rigoureux, de recherche et de prototypage, donc rien de différent au monde du design.
Beaucoup de maisons de couture ont une longue tradition et des archives importantes. En tant que designer, je trouve souvent plus facile de travailler avec des maisons de mode ayant une longue histoire plutôt qu’avec des sociétés de design, même lorsqu’elles vous donnent carte blanche, mais que vous ne pouvez pas puiser aux racines pour conférer du sens au produit. Je préfère partir d’archives authentiques et de codes de style précis – ces socles à partir desquels la mode sait innover, constamment et de façon remarquable.
Après une longue étape d’identification à la marque et à son univers, je me retrouve avec une série de références — comme, par exemple, la manière de travailler les matériaux — et il est alors beaucoup plus facile de concevoir. Le talent du designer réside dans l’interprétation de ces points de repère et dans leur transformation en une vision associée au design du produit. Cela prend du temps, mais c’est très enrichissant pour moi.
Je suis diplômée en architecture et, depuis l’université, j’ai toujours aimé l’histoire de l’architecture et l’urbanisme. Je trouve essentiel de découvrir les stratifications, de donner une clé d’interprétation au présent en la reliant à ce qui a été fait avant nous, de visiter des lieux, de les photographier, de les revoir et d’y revenir pour en comprendre le sens.
J’ai découvert le design à travers les intérieurs créés par de grands architectes, d’Adolf Loos à Carlo Scarpa. La dimension associée à l’attention portée aux détails, au design sur mesure, au projet qui va de l’échelle urbaine au design des détails et du mobilier, c’est toujours ce qui m’a le plus fascinée.
Après l’obtention de mon diplôme, j’ai commencé à étudier le design en autodidacte, de manière totalement libre, à travers des livres et des monographies. L’envie est ensuite venue de posséder des pièces historiques, de les essayer pour comprendre leur fonctionnement, leur interaction entre elles, l’utilisation des matériaux. C’est pourquoi j’ai commencé à collectionner des objets, en les achetant dans des marchés de quartier, en ligne, mais aussi dans des ventes aux enchères.
Les thèmes associés à l’histoire font souvent partie de mes séries de produits. Par exemple, le travail que je poursuis pour le four Brioni l’explore en partant du territoire. Le four est situé près de Mantoue, et je suis partie des géométries et des couleurs du jardin à l’italienne pour arriver ensuite aux éléments naturels de la grotte du Palais Te, en passant par le baroque lombard et les églises des frères Bibiena. Le thème de l’illusion de perspective et des percées a été étendu aux réminiscences de Bernini et de Borromini. En résultent des textures qui revisitent les signes graphiques du baroque, lui conférant sa rigueur extrême.
Pour Cedit, en revanche, la première référence a été les coups de pinceau en marmorino bordés de tôle noire de Carlo Scarpa, mais mélangés aux intérieurs d’Adolf Loos et à ses marbres très spéciaux. Les références aux traitements de certains porches milanais et à leurs surfaces rigoureuses divisées en cloisons de marbre sont aussi utilisées, tout comme celles aux foulards Hermès et à leurs bords. Ce sont toutes des choses que je mélange et utilise à différents dosages. Peut-être précisément parce que je n’ai pas étudié le design, je me sens très libre de chercher des références historiques lorsque je m’attaque à un nouveau projet.
La France me fascine évidemment par ses pâtisseries, mais aussi par Le Corbusier, dont j’aime beaucoup le Petit Cabanon et la Maison La Roche. Et puis Paris, bien sûr, avec sa puissante monumentalité et ses immeubles haussmanniens. J’aime les explorer, car ce sont des lieux débordants d’inspiration en matière de traitements des surfaces et de matériaux. Une fois, j’ai trouvé une pierre de taille incroyable avec de minuscules trous dont je me souviens encore !
« Le projet conçu pour la prochaine édition de Maison&Objet est né d’un désir d’immersion temporaire dans une autre réalité, là où la beauté exotique, l’amour de la décoration, la passion des couleurs et l’envie irrépressible de créer des scénarii en lien avec la nature sont au rendez-vous.
Ouvrir des fenêtres sur d’autres mondes et créer des passerelles entre passé et présent offrent au public une réinterprétation de thèmes tels l’observation, la conversation et le partage, dans le cadre d’une approche chorale. Sur cette base, le projet décoratif et architectural devient le moyen de transporter les sens. »