Né en 1890 dans une vallée des Alpes, le couteau de poche est non seulement un classique transmis de génération en génération, mais aussi une icône du design.
Jean Sulpice, chef étoilé à Annecy, a reçu de son grand-père Marcel un couteau Opinel pour aller aux champignons. Michel Desjoyeaux, grand navigateur, embarquait enfant le sien accroché par un porte-clé. Des histoires comme celle-ci, les Français en ont tous. Ces histoires de transmission, de partage et de simplicité ont fait le succès du petit couteau de poche, robuste et universel. Né dans les montagnes de Savoie, le couteau pliant est devenu un classique, au point d’avoir son nom cité depuis 1989 dans le dictionnaire. Son secret ? D’abord un solide bon sens paysan, puisque le premier couteau pliant a été mis au point en 1890, par Joseph Opinel, lui-même fils de forgeron, dans un petit hameau perché à 1500 mètres d’altitude, dans les Alpes. Passionné de machinerie et d’inventions, l’artisan mécanise très vite l’activité pour baisser le coût de la production. Bien conçu, solide, durable, accessible, en un mot, honnête, la réputation du couteau de Joseph Opinel n’a pas tardé à se tailler une solide réputation, en France, puis à l’étranger.
Car le deuxième atout de Joseph Opinel a été sa vision commerciale. Très vite, il développe un réseau de grossistes, n’hésitant pas à confier ses couteaux aux chemineaux pour transporter sa précieuse marchandise à bon port. Enfin, la troisième donnée réside dans la transmission, puisqu’après Joseph, ses fils Marcel et Léon, puis son petit-fils Maurice ont fait prospérer l’entreprise. Aujourd’hui encore, Brigitte, François et Denis, les enfants de Maurice, en assurent la gouvernance. La société a déménagé, mais pas très loin : à Chambéry, la grande ville la plus proche du hameau d’Albez-le-Vieux.
Fabriqué en bois de Hêtre, un Opinel ne comporte que cinq pièces, manche, lame, une virole fixe pour relier les deux, une autre tournante, permettant de sécuriser la lame à l’ouverture et à la fermeture, et enfin un rivet pour fixer le tout. Simple en théorie, mais parfaitement exécuté : la lame en acier carbone ou inoxydable, est bombée, permettant d’être affûtée dans le temps. Elle est enfin affilée à la main pour lui donner son tranchant légendaire. Tout est produit en Savoie, avec des bois des environs. L’évidence du dessin de Joseph en fait une icône, saluée comme l’un des objets les mieux dessinés au monde, par le MoMA et le Victoria & Albert Museum.
Depuis 2008, Opinel est fidèle à Maison&Objet Paris, deux fois par an. Un atout indispensable pour sa politique de distribution. Aux grossistes d’antan, ont succédé les détaillants. D’abord vendu dans les armureries, ou dans les magasins spécialisés, la marque, reconnaissable à son emblème de main couronnée, a su diversifier sa gamme pour être vendue dans toutes sortes de magasins de décoration, les grands magasins, et exportée dans 70 pays. Pour perdurer plus de 130 ans, Opinel n’a pas gardé qu’un couteau dans sa poche. De la cuisine à la table, l’instrument a colonisé la maison, séduisant une clientèle féminine et urbaine. Pour la cuisine, un coffret de cinq essentiels : éplucheur, couteau cranté, d’office, à légumes, tartineur. Simple et indispensable. Plus sophistiqués, des couteaux forgés à l’équilibre parfait. Pour la table, des essences de bois variées, frêne, olivier, ébène, bouleau, ou une myriade de couleurs. En Janvier, sortira une ligne complète de couverts en acier, baptisée Perpétue. Le nom évoque la solidité, mais c’est aussi un prénom ancien, celui de la grand-mère de Joseph. Opinel a breveté une collection enfant « petit chef », avec un gros anneau rouge de sécurité pour agripper le manche et protéger ses petits doigts. Enfin, fidèle au grand air, la maison a développé des serpettes et sécateurs de jardin, des instruments de cueillette, champignons ou châtaignes, d’autres munis de sifflets de secours pour la voile ou l’alpinisme, et même de tire bouchons qui font leur succès auprès des pêcheurs, pique-niqueurs, campeurs, treckers et autres amoureux de la nature. Autant d’occasions de transmettre encore, et toujours, ce bel instrument de génération en génération.
Par Caroline Tossan
Illustration © Sarah Bouillaud
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