Bienvenue dans l’univers du décorateur américain où tout n’est que luxe, glamour et insolence.
Jonathan Adler a fait broder au petit point une boîte de Prozac sur le dessus d’un coussin. Dans sa trousse de survie, il y a aussi des pilules décoratives en acrylique, des pots à marijuana en porcelaine décorée, des boîtes à Xanax en laiton doré. « Et pourtant, je suis la personne la plus clean sur cette planète ! s’amuse-t-il. Je ne fume pas, ne bois pas, je suis dans ma salle de gym deux fois par jour. J’exprime mon côté hédoniste par le design. Je vis propre, et décore malpropre. » Dans la philosophie de ce designer et potier américain devenu star en quelques années, il y a surtout le désir de ne rien prendre trop au sérieux. Son univers est peuplé de couleurs pop, de nuages, de motifs symboliques surréalistes, le tout baigné de références au style des années 50 à 70, qu’il a rebaptisé le Modern American Glamour. Dans son Panthéon, on trouve pêle-mêle David Hicks, Gio Ponti, Yves Saint Laurent, des chanteurs Hip-hop des années 90, Andy Warhol, Sex and The city, Madonna et Alexander Girard, célèbre designer textile d’après-guerre dont les œuvres sont encore éditées par Vitra.
Aussi célébrés à New-York que sur la côte Ouest, ses décors foisonnants sont teintés d’humour et d’irrévérence. Le designer ne s’épargne pas lui-même, se définissant comme « louche, hédoniste, hippie de luxe ». Après avoir réglé son compte au minimalisme (« toujours décevant »), il décrète que « les célébrités devraient toujours payer le prix fort ». Ce serait justice : ses éclairages « font paraître plus jeune et plus mince ». « Votre maison devrait toujours vous rendre joyeux » est son slogan. À une certaine période de sa vie, Jonathan Adler était obsédé par le style « waspy country club style », ce mode de vie ultra policé du milieu bon-chic-bon-genre américain, où l’on se fréquente au Club, les hommes en sweaters et les filles en collier de perles. Mais chez Adler, à la manière de Warhol, c’est pour mieux s’amuser de leurs décors d’un vert trop acide où l’on accumule les chinoiseries. C’est en tous cas de là que lui vient son goût pour les coussins en tapisserie maison brodée main, bien que ses motifs soient beaucoup moins politiquement corrects. Plus tard, à la demande de Mattel, il a aménagé à Malibu une maison pour Barbie, grandeur nature.
C’est avec cet esprit qui n’engendre jamais l’ennui, que Jonathan Adler, comme un ensemblier, décore des lieux et commercialise ses collections dans le monde entier. Du canapé capitonné à la console ornée de cabochons bleus, du service de table au cadeau si bien vu « que vos hôtes ne pourront que vous réinviter », aucun domaine n’échappe à sa créativité. Il aime parsemer sa conversation de mots français, « soirée » ou autre « bon mot ». «Je suis totalement francophile. Avant la pandémie, j’essayais de me rendre en France au moins une fois par an pour m’imprégner de la culture, des antiquités et des pâtisseries… » Quand en 2012, il ouvre sa première boutique au Royaume-Uni, il songe à conquérir le marché européen. «À partir de là, choisir Maison&Objet Paris était une évidence. Ce fut une réalisation majeure – exposer à ce salon professionnel aux côtés de toutes les autres marques fabuleuses que j’ai admirées au fil des ans… Je me suis dit : « I made it ».
La success story hollywoodienne ne rend qu’en partie hommage à l’âme véritable de Jonathan Adler. Au début de l’aventure, il est un adolescent de 12 ans du New Jersey, qui tombe amoureux d’un artisanat : la poterie. Comme beaucoup de jeunes américains, il passe l’été au Summer Camp. C’est là que débute son initiation. «C’était le destin » dit le designer en se souvenant du jour où la foudre l’a frappé. « Je suis rationnel, je ne crois pas en tous ces trucs New-Age, sauf pour ce qui s’est passé entre moi et la poterie », concède-t-il. Il passe les années suivantes à casser de la terre cuite dans la cave familiale, dans le sud du New Jersey. « J’ai eu la chance d’avoir des parents très intelligents et créatifs. Ma mère travaillait à Vogue, mon père était avocat et artiste en secret. La leçon la plus importante qu’ils m’aient donnée est que la banalité est l’ennemi à abattre.» Papa et maman l’envoient étudier la sémiotique et l’histoire de l’art à l’Université de Brown, près de Boston. En fait, il passe la plus part de son temps dans l’établissement voisin, la très réputée Ecole de Design de Rhode Island (RISD), à modeler des pots. Jeune diplômé, il tente un début de carrière dans le milieu du cinéma à New-York et en ressort déçu. Il se jure qu’il ne fera plus jamais de métier « normal ». Il laisse alors parler son cœur, son amour de l’artisanat et se lance à corps perdu dans la poterie. Barneys lui donne sa chance en devenant son premier acheteur. Ses vases rendent hommage à Dora Maar, à kiki de Montparnasse, à Polly Maggoo. Le reste est un mix de travail acharné et de talent, comme pour tout rêve américain. « J’ai souvent trébuché le long de mon parcours, et je pense que c’est la meilleure façon de rouler, dit Adler. Le design et la créativité ont été ma boussole, mon seul intérêt a été de me concentrer pour faire des trucs groovy et créer des espaces groovy. » Let’s Groove !
Par Caroline Tossan
Illustration ©Sarah Bouillaud