Depuis plus d’un siècle, des brosses de tous poils sortent des ateliers suédois d’Iris Hantverk. Un artisanat très particulier défendu bec et ongles par ses deux propriétaires Sara et Richard.
Quel objet présent partout dans notre maison et utilisé tous les jours a été inventé il y a dix mille ans ? La brosse. La simple, polymorphe et fascinante brosse. En Suède, chez Iris Hantverk, on en fabrique depuis la fin du XIXème siècle, seulement. Feuilleter le catalogue, c’est une ode à la créativité. La salle de bains : brosse pour massage facial, massage du corps, brosse à ongles, à maquillage, à visage, une variété incalculable de brosses pour le bain et même une petite en forme de cœur pour les cheveux des bébés. Cuisine : brosses à légumes, à champignons, grattoirs à vaisselle, brosses à reluire, écouvillons pour biberons, pinceaux à pâtisserie, balayettes pour la table… des rondes, des plates, des qui nettoient le fond des carafes, des tordues, pour faire la poussière dans… les coins tordus, une pour dépoussiérer son clavier d’ordinateur, une autre pour essuyer son banc, époussette à vêtements, brosse à chaussures, grattoir à pare-brise de voiture. Ouf ! Tout le génie humain dans ces variations autour de quelques poils fixés sur un support de bois.
Depuis bien longtemps, la fabrication des brosses a été industrialisée. Chez Iris Hantverk, le temps s’est arrêté. Hantverk signifie « à la main ». Iris fait référence à l’iris de l’œil. Car depuis toujours, les brosses d’Iris Hantverk sont fabriquées à la main par des malvoyants. Le toucher, l’habileté et la sensibilité sans pareil de la main des aveugles donne une autre dimension à ce travail artisanal. L’histoire de l’entreprise est intimement liée aux associations suédoises, telles De Blindas Förening (« l’association des aveugles », fondée en 1889) qui ont organisé et créé les premières structures associatives pour malvoyants. Au début du XXème siècle, la Suède entre dans l’ère de l’industrialisation, l’exode rural entraîne avec lui ces artisans qui pratiquent déjà la fabrication de brosses et de paniers traditionnels dans les campagnes. La fondation les encourage à s’insérer dans la société moderne, à participer à la vie sociale, à vivre de leur travail. Pour un malvoyant, l’artisanat de la brosse est un débouché professionnel rare. L’état subventionne leur embauche dès le début du XXème siècle. Les années 1950 représentent l’âge d’or de l’entreprise, qui emploie jusqu’à 700 artisans.
Pour fabriquer une brosse, il faut un support, en chêne, en hêtre ou en bouleau huilé. Il est percé de trous, de 40 à 250 environ. On y fixe ensuite au crochet des touffes de poils ou de fibre. Une machine antique distribue les petites touffes, avant que l’ouvrier ne l’accroche à l’aide d’un fil d’acier inoxydable. Il existe des fibres de toutes sortes, pour tous les usages, souples, douces ou dures. Elles viennent du monde entier et sont toutes naturelles : racine de chiendent ou de céréale, fibre de coco, de tampico ou de palmier, crin de cheval, poil de chèvre. Chaque artisan a ses préférences. Pour Turgut, 42 ans, qui a perdu la vue à l’âge de 6 ans, c’est le pinceau de cuisine en crin de cheval blanc. Il peut en fabriquer 300 en une journée. Depuis que l’agence suédoise pour l’emploi l’a envoyé se former chez Iris Hantverk il y a 20 ans, il maîtrise toutes les brosses et toutes les matières. Un savoir-faire qu’il a appris en moins de trois mois au lieu de six en moyenne. Le champion toutes catégories, c’est Negassi. Cet Erythréen de 52 ans, qui a perdu la vue à l’âge de 17 ans, a battu tous les records d’apprentissage en maîtrisant la technique en… un jour et demi. Formateur des nouvelles recrues, il sait aussi réparer toutes les machines.
Des beaux parcours, il y en a eu beaucoup dans l’atelier de Stockholm. Mais l’histoire a bien failli s’arrêter en même temps que les subventions gouvernementales pour le travail des aveugles, en 2012. Deux salariés, Sara Edhäll et Richard Sparrenhök ne peuvent se résoudre à perdre le savoir-faire, à voir licencier les employés. Sara est entrée dans l’entreprise treize ans auparavant comme extra aux deux boutiques de Stockholm alors qu’elle étudiait l’économie. En 2012, elle les dirige toutes et est responsable des achats. Richard est acheteur également et dirige la production. Ils prennent tous les risques en hypothéquant chacun leur maison. Leur priorité est de sauver les emplois des artisans. Ils réorganisent l’encadrement en faisant à eux deux tout le travail du board de direction. Enfin, ils lancent un e-shop en suède. « La foi et le travail de tout le monde pour sauver la compagnie valait de tenter la reprise, dit Sara ». Les deux premières années sont dures. Dans ce contexte, le salon Maison&Objet est un rendez-vous vital. « Nous exposions à Paris depuis 2003, raconte-t-elle. Les salons ont toujours été nos plus gros pourvoyeurs de clients. Même si nous pouvons vendre aujourd’hui dans le monde entier via internet, ce n’est pas la même chose de rencontrer les personnes qui sont derrière la marque et de manipuler les produits. Nous en avons eu la preuve cette année-là, en 2012, quand nous avons rencontré les acheteurs d’un très grand magasin britannique qui ne vendait plus nos brosses depuis des années. Ils ont passé une très grosse commande et on a fini avec une mise en scène fantastique dans leur vitrine. Ça a fait boule de neige et c’était peut-être le premier signe de la reprise. »
Iris Hantverk revendique aujourd’hui les valeurs fortes de sa marque : force, solidité, honnêteté. « Solide, dit Sara, signifie pour nous que nos produits respectent l’environnement, y compris social. Nous sommes responsables devant tous ceux qui font d’Iris Hantverk un succès. C’est pourquoi nous incitons nos partenaires à se lancer dans des démarches écologiquement et socialement responsables. » Ce dont elle est le plus fière ? « Avoir réussi à passer les années difficiles avec des produits ménagers respectueux de l’environnement. C’est la preuve que ça paie de rester fidèles à notre cœur de métier. »
https://www.irishantverk.se/en
Par Caroline Tossan
Illustration ©Sarah Bouillaud