Le dernier baromètre Maison&Objet a interrogé notre communauté sur ses utilisations de l’intelligence artificielle. Elle génère déjà pour certains des textes, des images. Des interrogations et quelques craintes pour d’autres. Et pour tous une certitude : elle est incontournable.
Pour 68% des distributeurs, marques et prescripteurs qui ont répondu à l’enquête, le concept d’intelligence artificiel est clair et ils sont 34% à l’utiliser d’ores et déjà dans leurs activités. Parmi eux, 89% ont recours à ChatGPT, l’outil développé par l’entreprise américaine OpenAI qui permet de créer du texte. Il s’agit pour la majorité de produire des contenus pour le web, compatibles SEO de préférence, pour les réseaux sociaux, pour leur e-shop… Il peut aussi intervenir en appuie du service client sous forme de chatbot.
Un petit nombre (19%) déclare utiliser la plateforme d’intelligence artificielle Midjourney pour créer des images, simuler des environnements… C’est l’outil essentiellement des prescripteurs qui déclarent s’en servir pour trouver des images d’inspiration, créer des moodboards ou des plans.
Reste donc 66% des répondants qui n’utilisent pas ces outils. Pour une grande majorité, les raisons invoquées sont beaucoup plus pragmatiques - « Nous n’en avons pas l’utilité pour l’instant » – les justifications sont parfois désabusées - « Je ne comprends toujours pas comment m’en servir » - et les obstacles matériels. Le temps nécessaire pour se plonger dans les avantages, inconvénients et possibilités de ces outils apparait comme un des premiers freins - « J’ai peu de temps et je n'ai pas pris le temps de m'y mettre, mais peut-être que ça m'en ferait gagner ! ». Enfin, 56% des enquêtés estiment qu’il est juste de penser que ces technologies sont trop complexes ou couteuses pour une petite entreprise.
Pour autant, les attentes sont bien concrètes. Dans le top 3 des domaines où ils aimeraient être épaulés par ces outils figurent le marketing ciblé, l’analyse des réseaux sociaux et enfin l’analyse prédictive des tendances. Des attentes tout à fait légitime compte-tenu des possibilités de ces outils mais auxquelles Vincent Grégoire met un bémol : « Pour le côté business, on a des renvois d’information à l’instant T… Mais il faut ensuite traiter toute cette information ». Et l’arbitrage ne sera pas le fait de la machine.
« Soit on prend comme argent comptant cette somme d’informations. C’est « l’algocratie », la dictature de l’algorithme. L’IA est un outil au service de la fast fashion, la fast déco. Soit on choisit au contraire de la challenger, de disrupter ». Ce qui vient contredire une des principales craintes vis-à-vis de l’IA : la déshumanisation.
Pour 58% des personnes ayant répondu à l’enquête, l’IA pose le risque de se substituer à l’humain. L’IA va-t-elle nous remplacer ? C’est la première question que soulèvent les étudiants en architecture d’intérieur de l’IE School of architecture and design dans laquelle enseigne Cristina Mateo Rebollo. Une question pertinente alors que se développent des plateformes qui peuvent générer pour les utilisateurs des images de leurs maisons dans 20 styles différents avant qu’ils ne choisissent de tout changer, du canapé au papier peint. La seule proposition d’un intérieur « tropical » par la plateforme devrait suffire à rassurer les professionnels sur les capacités de ce « concurrent ».
La doyenne associée de l’école madrilène confirme que les architectes d’intérieur ont plus que jamais un rôle à jouer. Elle rejoint Vincent Gregoire sur le rôle « d’assistant » que jouent ces outils. « Ils permettent, pour les créatifs de préparer le travail, de visualiser des étapes du processus de design, de prototyper plus vite, de créer des moodboards, d’être mieux au courant des tendances et des nouveautés … Il faut les voir, assure-t-elle, comme des « super pouvoirs » qui permettent de gagner du temps, de l’argent aussi, et de donner plus d’emphase à la création ». Et dans cette optique, l’enjeu est de bien identifier quand ces outils sont pertinents et pour les créatifs se recentrer sur l’essence même de leur travail : quelle est leur plus-value ? Mais aussi quelle est celle du face-à-face quand certains sujets peuvent être gérer à distance. Plutôt que dévaloriser l’humain, l’IA serait l’occasion d’amplifier sa valeur ajoutée et de réinvestir les relations interpersonnelles. Des questions à considérer quel que soit son type d’activité.
« Dans mon métier de médias, il y aura toujours les photographes et les visuels produits car les journalistes ne veulent pas d’IA, ils veulent du tangible. Les photographes peuvent être rassurés sur la nécessité de leur métier, dans la presse et particulièrement dans l’univers bien concret du design », affirme Alexandra Poster Bennaïm, fondatrice de l’agence Alexandra Public Relations.
C’est en échangeant avec son vaste réseau d’influence qu’Alexandra découvre les premiers artistes et œuvres d’art générées à partir d’une intelligence artificielle. Sensible à leur poésie spectaculaire, elle publie ces images utopiques au fil de ses publications sur Instagram en prenant soin de mettre en avant toujours le travail des artistes, dont l’influence n’a cessé de croître parmi lesquels Vinh.qp, Reverse Orientalism ou encore Giulia Art, revisitant les codes du retail événementiel de luxe à l’image de sa paillotte de plage Chanel. « Ces images ont le pouvoir de faire rêver en produisant des décors d’une beauté saisissante, presque trop parfaite, mais les gens on envie et besoin de rêver. Ces images sont puissantes en storytelling », poursuit-elle. Son flair et son œil lui ont permis de tisser des collaborations avec ces artistes, notamment dans l’univers du luxe, et de déceler tout le potentiel de ces images fictives où l’extraordinaire côtoie le vraisemblable. Cette dimension à la fois utopique et accessible créé immédiatement la désirabilité. C’est un territoire artistique qui propose un nouveau registre de storytelling.
L’influence de l’IA sur le secteur de la maison, sur ses professions se dessine ainsi par touches et personne ne se risque plus à des prédictions définitives. « Nous avions l’habitude de nous demander comment les choses seront ans 5 ans. Aujourd’hui, personne n’ose plus se projeter de cette façon. Nous avons vu les changements intervenus avec l’IA au cours des deux dernières années et ils sont exponentiels », constate Cristina Mateo Robello. Elle suggère en revanche de réfléchir à une question qui n’a pas été posée dans l’enquête mais qui concerne chacun d’entre nous. En nous libérant des tâches fastidieuses, répétitives… L’IA va nous faire gagner du temps. Mais allons-nous le passer à travailler encore plus ou allons-nous le consacrer à ce qui compte pour nous et à ceux qui ont besoin de nous
Chaque baromètre dédie une partie de son analyse à la perception par les professionnels d’un nouvel enjeu ou d’un défi auquel le secteur est confronté. Pour cette édition, notre gros plan portait sur l’intelligence artificielle. Le sujet est clairement dans l’air du temps avec 68% des répondants affirmant que le concept même d’IA est clair pour eux. Il est d’ailleurs déjà adopté dans leurs activités par 34% des entreprises et personnes interrogées sur ce sujet, avec en tête le logiciel ChatGPT (89%).
Si 84% des acteurs ayant répondu à l’enquête identifient l’IA comme un outil de travail incontournable à l’avenir, les réponses révèlent des interrogations sur les menaces sur la propriété intellectuelle, la possible déshumanisation des tâches mais aussi une curiosité très pragmatique sur ses réels avantages.