Désir de singularité, célébration de la créativité, montée en gamme : l’artisanat répond mieux que jamais aux attentes des consommateurs avec une offre toujours plus séduisante et exigeante.
En septembre, le secteur Unique & Eclectic du salon sera entièrement regroupé sous la douce lumière du Hall 8 conçu par Lacaton&Vassal, duo d’architectes français récompensé il y a deux ans par le prestigieux Prix Pritzker. François Bernard note lui une autre évolution : « Depuis 10 ans, le secteur a fortement migré vers l’unique ». Directeur artistique et membre de l’observatoire de Maison&Objet, il peut se targuer d’avoir une vision quasi historique de l’évolution de la proposition artisanale, une production d’objets sensibles qu’il met depuis longtemps en avant dans ses sélections.
« Au départ, il y avait des gens qui allaient faire réaliser des produits à l’autre bout du monde et revenaient avec dans leurs valises, rapportant en même temps des antiquités, avec parfois des produits extraordinaires de Chine et d’ailleurs. Cette proposition s’est raréfiée et il y a une quinzaine d’années, on a vu apparaitre de plus en plus de bel artisanat, de mieux en mieux fait, avec une clientèle de plus en plus exigeante, de nouveaux exposants venus de Tunisie, du Maroc, d’Amérique centrale… ». Il s’agit alors de produits plus luxueux, comme le travail de Valentina Hoyos avec des artisans colombiens ou celui de Best before autour de savoir-faire sud-coréen, polonais ou brésilien. « On est passé de l’objet d’aéroport, il y a 30 ans, que l’on achetait en masse sur les marchés asiatiques, à des choses de plus en plus précieuses », résume François Bernard.
L’autre évolution tient à une relocalisation de l’artisanat, avec un renouvellement des productions françaises et européennes. Ce sont aussi bien des pièces uniques - « Le hall 5 a beaucoup évolué, en bien, il y a eu une montée en puissance de Craft, dédié aux métiers d’art », précise notre observateur averti - que des produits qui permettent une diffusion plus large. On voit renaître de jolies manufactures comme Digoin, dont Corine Jourdain Gros a courageusement relancé la production de grès et de poteries, tandis que la production de céramiques au Portugal ou de textile en France et dans le nord de l’Europe connait un nouveau souffle. De la pièce unique à la manufacture, le marché a gagné en qualité et en éclectisme. « C’est à l’acheteur ensuite de rassembler ces objets pour créer une « boutique d’auteur ». Elle devient une galerie avec des éléments choisis, distribués de manière précise », poursuit François Bernard qui semble ainsi décrire point par point la démarche de Régis Godon-Dilla.
Sa boutique, Ailleurs, est installée près du Faubourg Saint-Antoine à Paris, autrefois haut lieu de l’artisanat et tout particulièrement de l’ébénisterie. Après avoir longtemps collaboré avec le concept Store Merci, il a voulu revenir à une sélection recentrée sur l’artisanat et des pièces chinées. Pour cela, il a choisi de passer le seuil des ateliers. « J’avais envie de travailler avec les artisans en direct pour pouvoir expliquer leur travail aux clients. Avant, on se contentait d’acheter des pièces artisanales, aujourd’hui on va chercher l’histoire derrière l’objet, c’est une valeur ajoutée. C’est rassurant pour les clients, ils savent ce qu’ils achètent ». Cette histoire s’écrit souvent entre créativité et savoir- faire, entre un designer et artisan.
Sophie et Thomas Dariel, longtemps installés à Shangaï, ont vu naitre très tôt depuis la Chine « cet immense regain d’envie de la part du public pour les savoir-faire ». « La Chine regorge d’ateliers, d’artisans de la soie à la broderie en passant par la céramique ou le tissage de bambou », commente la directrice de la communication de Maison Dada. L’artisanat traverse et anime aussi bien la pratique de l’agence d’architecture d’intérieurs Studio Dariel que celle de cet éditeur désormais bien installé dans le paysage parisien avec une toute nouvelle et première boutique.
Ce cheminement avec l’artisanat prend une nouvelle dimension avec le lancement, il y a deux ans du Campus MaNa qui a accueilli cette année ses premiers « manaïstes ». Le projet est le produit d’un vieux rêve du designer Thomas Dariel - créer une école - et d’une opportunité : la possibilité d’investir un ancien centre de formation professionnel dans un lieux idyllique, en Bourgogne, territoire riche d’artisans et de créateurs. L’idée est de créer des liens plus souples et plus riches avec les artisans alors que la demande est en constante évolution.
Architectes, designers, graphistes, les participants aux formations sont des professionnels aguerris. Encadrés par des artisans, ils viennent pour aborder concrètement les savoir-faire de la céramique, du travail du bois et du métal, dans ateliers équipés des outils traditionnels comme des équipements les plus modernes. « Beaucoup disent qu’ils ont envie de mieux comprendre les artisans qui exécutent leur dessin et leur rapport à la matière. Ils ne vont pas forcément utiliser eux-mêmes les techniques, mais intellectuellement, ils vont pouvoir mieux appréhender mieux la collaboration », témoigne Sophie Dariel.
S’il est encore besoin de se convaincre de l’aura de l’artisanat aujourd’hui, on peut regarder du côté de… la fast fashion. « Je me suis aperçu qu’un artisan avec lequel je travaillais avait fait une collection pour Zara Home. Il était mis en avant par l’enseigne avec des photos sépia, sa petite production servant de produit d’appel pour vendre surtout les produits industriels », raconte le fondateur de la boutique Ailleurs… Ou quand la fast-déco s’approprie l’artisanat pour donner du sens à ses produits.