Paralysée par la crise, l’hôtellerie est aussi agitée par les interrogations sur son futur. Le secteur n’échappe pas à une quête de sens qui pourrait être salvatrice.
À quoi sert l’hôtel ? « À dormir ! » répond Laurent Delporte. Une évidence ? « On l’a oublié à un moment donné », soutient cet expert de l’hôtellerie de luxe qui a visité des centaines d’hôtels et se méfie des « concepts » pour trouver un nouveau souffle. « Le « lifestyle », c’est un mot nouveau, mais de tous temps les hôtels se sont distingués selon leur proposition. Être installé près d’une gare ou d’un aéroport, c’est un style, une expérience en soi. » Le coworking ? « Une expression à la mode. Cela fait 20 ans que je fais mes rendez-vous et que je travaille dans des hôtels dans de super conditions. »
« Le seul point positif de ce que nous vivons en ce moment, s’amuse de son côté Cyril Aouizerate, fondateur des hôtels MOB, c’est qu’il y a beaucoup plus de questions que de réponses ». Comme d’autres acteurs de l’hospitalité, il a commencé à y répondre bien avant la crise. Et la première à se poser pour Laurent Delporte est existentielle : « qu’est-ce que je veux faire dans mon hôtel ? ».
Quoi ?
Pour le consultant, sollicité désormais pour faire naître de « nouvelles expériences », les hôteliers ne doivent plus essayer de « faire plaisir à tout le monde » mais de bâtir au contraire des offres différenciantes. Expérience bucolique et ressourçante au Château de Villiers-Le-Mahieu, à deux pas de Paris, ou séjour festif à la montagne dans la bien nommée Folie douce à Chamonix, Les Hôtels (Très) Particuliers offrent une proposition claire à leurs hôtes : se faire plaisir. « Nous avons eu des partis pris assez forts parce que nous avions des convictions sur des signaux faibles, explique Matthieu Evrard, président de ce groupe hôtelier. L’hôtellerie étant définie autour de la chambre et d’une nuitée, nous avons au contraire axé l’expérience client autour des espaces communs et sur ce qui va se passer le jour.» Musique live ou cours de yoga, les hôtes savent exactement pourquoi ils choisissent un hôtel ou une maison signés LHTP.
Le deuxième point crucial, irremplaçable selon Laurent Delporte, c’est l’expérience humaine. Et pour cela, l’organisation hiérarchique des hôtels ne correspond plus selon lui à la réalité : « Il faut faire confiance aux équipes sur le terrain, à leur réactivité pour faire vivre une convivialité. L’émotionnel doit être au cœur de l’expérience. » Denis Courtiade, directeur de salle du restaurant « Alain Ducasse au Plaza Athénée » et président fondateur de l’association « Ô service - des talents de demain » imagine ainsi de nouveaux scénarios : « la clientèle est accompagnée tout au long de son séjour par un référant, style Butler. Ce n’est plus au client d’aller à la rencontre du restaurant ou du bar…mais au barman de monter en chambre, au sommelier de sortir de sa cave pour faire goûter tel ou tel vin au coin du comptoir de la réception. Le Chef sort de sa cuisine, va à la rencontre des clients en faisant déguster des mini-bouchées. Si le dîner est pris en chambre, on ne parle plus de room service, mais de service de restaurant en chambre… »
Où ?
L’emplacement à la puissance 3 a longtemps été le secret de la réussite des plus beaux établissements. « Mais aujourd’hui, la vue ne suffit plus pour créer une expérience », s’empresse de rappeler Laurent Delporte. Cyril Aouizerate, cofondateur des hôtels Mama Shelter, s’en était déjà affranchi en choisissant dès 2008 de les implanter dans des quartiers excentrés et populaires. Aujourd’hui, il met en œuvre ses convictions d’«artisan hôtelier» en développant lentement mais sûrement les MOB Hotel. Pour les premiers, à Lyon et à Saint- Ouen, près de Paris, comme pour les projets en cours, l’expérience nait de la connexion de l’hôtel avec son environnement. « Quand je fais un projet à Washington ou à Bordeaux, mon premier boulot est d’interroger des sociologues, des professeurs d’université, de comprendre la ville, les particularités, de savoir où je vais et donc où mes voyageurs vont aller. » Bien loin des chaînes uniformisées qui envahissent le monde, il part à chaque fois d’une page blanche pour concevoir l’hôtel qui s’insère aussi bien géographiquement que socialement dans la ville. Cela peut prendre la forme de jardins potagers offerts aux voisins qui se montrent en retour particulièrement accueillants : « On a plus de 300 clients qui on finit par se faire inviter à l’apéro ou pour manger ! » Et si on n’a pas de jardin, « être local, professe-t-il, cela veut dire faire des prix accessibles pour les locaux. La mixité commence par le prix. »
« Tout n’est pas possible partout, mais la clé c’est la localisation », confirme Jean-Philippe Nuel. Du Sofitel Villa Borghese à Rome à l’Hôtel Dieu à Marseille, l’architecte a réalisé de très nombreux hôtels. Il s’adapte à toutes les échelles, travaillant aussi bien sur un projet de chambre d’hôtes au cœur du village de Saint-Emilion que sur celui d’un hôtel parisien de 120 chambres pour un grand groupe international. « L’idée, c’est que l’hôtel devienne un lieu de vie en interaction avec un écosystème, le quartier ou la ville, selon sa taille. À Lyon, le bar de l’InterContinental est à l’échelle de la cité. Spectaculaire, il devient une destination pour les habitants. À Paris, on est un peu serré dans nos bureaux. Si j’avais dans mon quartier un hôtel où faire des réunions dans une ambiance agréable, je prendrais un abonnement ! »
L’agence Caprini&Pellerin s’est vue confier le projet d’un grand hôtel de luxe en Arabie Saoudite après avoir remporté le concours pour la rénovation du Palm Beach, haut lieu de l’événementiel sur la Riviera. Pour ce projet, explique Jerry Pellerin, comme pour tous ceux qu’il conçoit avec son associé, le contexte est fondateur. « Je suis allé à la rencontre des Cannois de diverses générations afin de recueillir leur vécu et expérience au Palm Beach. Chaque personne avait une histoire à raconter, c'est un bâtiment qui fait donc partie du patrimoine et pour lequel nous avons effectué de nombreuses recherches de documentation historique avant de poser le crayon sur la feuille de papier. Le Palm Beach est notre patrimoine et il fallait concevoir dans cet état de conscience pour que la réponse soit juste. », raconte l’architecte. « Aujourd’hui, quand on est client d’un hôtel, on veut plus qu’un bel environnement. On veut être aspiré dans une histoire, ajoute-t-il, elle découle de l’environnement et des traditions locales, on a envie de respirer la culture, les habitudes. »
Comment ?
« Green », l’hôtel de demain est forcément « green ». Aux MOB, l’écologie est constituante de la philosophie des hôtels et de l’expérience proposée aux hôtes. « Nous sommes le seul hôtel en Europe à avoir des certifications bio sur la restauration, fait remarquer Cyril Aouizerate, c’est un boulot de 6 ans, un travail extrêmement compliqué au niveau de l’approvisionnement. » Il lui permet de revendiquer aujourd’hui une cantine bio et populaire où on peut se restaurer à partir de 7 euros.
L’hédonisme assumé des Hôtels (Très) Particuliers ne s’affranchit pas de cette exigence incontournable. « L’écologie est une tendance de fond estime Matthieu Evrard. Nous n’avons pas une politique de RSE de 800 pages mais à notre échelle, nous avons des principes forts : reprise d’existant, réemploi, attention aux déchets, aux déplacements, on chine beaucoup pour l’équipement… » Pour Jerry Pellerin, le luxe doit être exemplaire : « un hôtel a vocation à éduquer la clientèle aisée et à la sensibiliser à des modes de consommation plus respectueux de l’environnement, plus écologique. »
Cette nouvelle sobriété n’interroge pas seulement le fonctionnement des établissements, elle pose plus largement la question du développement de l’hôtellerie. « Nous allons continuer à faire des projets à notre rythme, comme des tortues, affirme Cyril Aouizerate. Trop gros, trop lourd, c’est moins de réactivité. J’invite à ne pas avoir un logiciel des années 80. Mieux vaut se développer sûrement, avoir une vision sobre de son développement qu’une vision hystérique qui met en porte-à-faux l’économie réelle et l’économie financière. »
« Cette crise sanitaire est le catalyseur de choses qui étaient dans l’air du temps. Ces évolutions sont durables », affirme Jean-Philippe Nuel. Plus de visio-conférences, moins de voyages business, des séjours courts plus proches, pour limiter le bilan carbone... « Un vrai changement de paradigme est possible avec l’idée que les hôtels vont devoir moins se reposer sur les nuitées et plus sur d’autres fonctions déjà présentes dans l’hôtel. Il y a quelque chose à réinventer avec une clientèle davantage de proximité. »
Laurent Delporte est plus radical : « Il faut changer de business model. Un hôtel, c’est une communauté de gens qui partagent à priori des valeurs en communs. Demain, sans devenir un supermarché, l’hôtel peut leur vendre du vin, des meubles, de la nourriture… », mais aussi ses savoir-faire comme de la conciergerie, tout un art de vivre dont le secteur est expert.
« Pendant de très longs mois, explique Denis Courtiade, j’ai pensé qu’il était important pour nos dirigeants de garder leur sang-froid afin de sauvegarder les emplois en ne prenant pas de décisions hâtives, ni drastiques. Mais il est vrai, que plus le temps passe, et plus je me suis convaincu, qu’au contraire, le moment était venu de revoir l’ensemble de nos organisations humaines et fonctionnelles. Cela ne peut pas être autrement. »
Par Marie Montuir
laurentdelporte.com
mobhotel.com
les hôtels (très) particuliers
oservice.fr
jeanphilippenuel.com
caprinipellerin.com
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