Récupérer les stocks de tissus inutilisés des maisons de luxe : c’est l’Upcycling d’un nouveau genre auquel s’est livré le créateur de meubles d’exception en partenariat avec Crearity Luxe.
Quand l’équipe de Maria Grazia Chiuri ou Anthony Vaccarello décide d’arrêter la production d’un modèle de la collection de prêt à porter Dior ou Saint Laurent, ce sont plusieurs centaines de mètres de velours de soie ou de serge de laine commandés pour rien. Victimes de choix stratégiques, autant qu’artistiques, des stocks somptueux dorment ainsi dans les réserves des grandes maisons de luxe. C’est pour remédier à cet embouteillage logistique qu’il y a un an, Ingrid Kermoal créait Crearity Luxe, une entreprise spécialisée dans la revalorisation de leurs stocks de matières premières. Depuis plusieurs années, celles-ci ont entamé la chasse au gaspi, soucieuses de s’engager dans une démarche éco-responsable. Après avoir travaillé sur le sujet en interne chez LVMH ou Kering durant quinze années, Ingrid Kermoal a décidé de créer sa propre structure, à la fois bureau d’achat et de style pour redistribuer la surproduction de tissus selon le principe de l’économie circulaire : Crearity Luxe accompagne la jeune création, soutien les écoles et les associations avec des dons. Si elle trouve chez les jeunes créateurs une clientèle naturelle, elle s’est aussi adressée au monde de la décoration. Elle a trouvé une oreille attentive chez Philippe Hurel.
Le créateur de meubles fête ses 110 ans cette année. Dans sa manufacture située dans l’Eure et Loir, ses artisans travaillent déjà délicatement le cuir, le bronze, les bois précieux, la laque et le parchemin. Alors pourquoi pas les étoffes de haute-couture ? « Ingrid est arrivée avec un grand classeur, dans une vraie démarche de bureau de style. Nous avons sélectionné les étoffes adaptées, dans des couleurs pop et joyeuses, qui ont dicté par la suite la teinte des structures » décrit Terence Mesguich, le directeur artistique de la Maison Philippe Hurel. Pour aller jusqu’au bout de la démarche, les créatifs ont plongé dans l’inventaire : 110 ans de stock d’archives avec des chaises au style différent ! Au final, ils en ont retenu 6, comme autant de démonstrations singulières des possibilités qu’offre cette nouvelle coopération. Chaque structure a été tapissée de tissus. Une série de coussins complète cette première collaboration, dévoilée lors de Paris Design Week dans le show-room Philippe Hurel, près de la Bourse du Commerce, qui abrite désormais la collection Pinault. « Associer une Startup et une maison ancrée dans l’histoire, créer à quatre mains, accorder nos volontés n’est pas seulement une opportunité provisoire mais bien une démarche qui s’inscrit dans la durée, » explique Terence Mesguich. « Nous sommes en train de construire un nouveau business model : comment acheter, comment produire dans une démarche durable, enchaîne Ingrid Kermoal. Il y a tellement de matières disponibles… Elles sont exploitables à la fois par la mode et par le design. » La démarche n’est pas sans déplaire à cette maison pétrie d’artisanat et de modernité. « Nous sommes à la fois intemporel et contemporain, explique Terence Mesguich. Nous défendons l’excellence des métiers d’art. Nous sommes de notre temps tout en bénéficiant d’un bel héritage. C’est celui-ci que nous allons faire fructifier, en petites série, en nous sentant libres de le chahuter. »